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24. L'État du Việt Nam , de l'indépendance limitée à l'indépendance  totale (1949-1954)

L’État du Việt Nam - de l’Indépendance limitée à l’Indépendance totale

(1945-1954)

 

Nguyễn Ngọc Châu

 

Extraits de « Việt Nam – L’histoire politique des deux guerres – Guerre d’indépendance (1858-1954) et guerre idéologique (1945-1975) » de Nguyen Ngoc Chau, préfacé par l’historien Pierre Brocheux, publié par les Editions Nombre 7, Seconde édition, 2020) et disponible sur Amazon. Informations sur

https://drive.google.com/file/d/1wAjGtHC4jEfRBtUywxkPcbuf9oMy6ba6/view?usp=sharing

La version anglaise “ Việt Nam – Political history of the two wars- Indépendence war (1858-1954) and ideological war (1945-1975)” préfacée par le Professeur Janet Hoskins de l’University of Southern California, LA, est disponible sur Amazon. Sa Table des matières est accessible par le lien :

https://drive.google.com/file/d/1_mTkP-trkc63qaQ8BPI2BoSp-8vBcmQY/view?usp=sharing

 

1. L’Indépendance limitée de l’État du Việt Nam (02/07/1949)

L’édification de l’Union Française intégrant les pays d’Indochine, qui était le but du retour des Français, avait besoin d’aboutir.

La négociation avec le Việt Minh avait mal fini, l’accord du 06/03/1946 et le modus vivendi secret du 14/09/1946 étant rapidement piétinés suite au bombardement de Hải Phòng le 23/11/1946. Maintenant qu’ils avaient renvoyé Hồ Chí Minh dans les montagnes, il leur fallait une autre entité représentant les trois parties du Việt Nam pour constituer des États associés de la Fédération Indochinoise. À part le Viêt Minh, il ne restait que les nationalistes qui s’étaient toujours montrés anti-Français [1], et qui n’avaient pas la souplesse de Hồ Chí Minh. Mais comment faire pour les rassembler ? En 1932, les Français avaient pensé à Bảo Đại. On s'adressa à lui une nouvelle fois[2].

Méfiant, l'ex-empereur, qui s'était exilé depuis la fin de 1946 à Hong Kong, reçut en début de 1947 l'envoyé de d'Argenlieu avec réticence, et refusa sa coopération, pensant que les Français voulaient l'utiliser pour faire pression sur le Việt Minh.

D'Argenlieu ayant une fois déjà présenté sa démission, cette démission fut acceptée le 05/03/1947. Emile Bollaert, son remplaçant, arriva le 01/04/1947 à Sài Gòn comme haut-commissaire de la Répu-blique en Indochine, accompagné de Pierre Messmer et de Paul Mus qui avaient déjà l'expérience du Việt Nam. D’Argenlieu était l’homme de de Gaulle. Le gouvernement de Ramadier voulait avoir une vue neuve en écartant Pignon le conseiller politique de son prédécesseur.

Bollaert était persuadé que la paix ne pouvait être rétablie qu’en accordant l’indépendance au Vietnam, avec le plein accord du Việt Minh. Hồ Chí Minh n’avait-il pas déclaré le 26/01/1947 à la radio que « le peuple du Vietnam désirait la paix, une collaboration amicale avec la France, son indépendance et son unité territoriale au sein de l’Union Française »[3]. Cette “indépendanceˮ était cependant celle de la vision vietnamienne de l’Union Française déjà exprimée durant les conférences de Đà Lạt et de Fontainebleau. Et l’opposition acharnée du général Valluy venait de sa vision à lui qui était celle de la France.

Paul Mus qu’il envoya le 12/05/1947 rencontrer Hồ Chí Minh pour lui proposer un cessez-le-feu et des négociations, revint bredouille. Les conditions exigées par Valluy, qui correspondaient à mettre la force armée Việt Minh sous le contrôle de la France, c’est-à-dire à un refus de l’indépendance demandée par les Vietnamiens, ne lui étaient pas acceptables : il devait remettre aux Français la moitié de son armement, les prisonniers, les déserteurs et les otages ; donner les moyens aux troupes françaises de se déplacer facilement dans ses territoires ; et regrouper ses forces militaires à des endroits désignés.

Cela amena Bollaert à déclarer le 15 mai que la France accueillera les propositions de tous les partis : « elle ne reconnaît à aucun groupe le monopole de la représentation du peuple vietnamien ». Puis il envoya une personne du consulat de France à Hong Kong prendre contact avec Bảo Đại. Celui fit une déclaration publiée le 5 juillet dans le journal L’Union Française à Sài Gòn, qu’il était prêt à servir d’intermédiaire entre la France et les partis du pays. Comme pour répondre à Bollaert et à Bảo Đại, Hồ Chì Minh présenta le 19 juillet un gouvernement remanié avec un large éventail de personnes d’autres organisations et partis à côté de trois communistes.

Bollaert avait son propre plan. Il comptait annoncer le 15/08/1947, jour prévu de la déclaration d’indépendance de l’Inde et du Pakistan, un cessez-le-feu immédiat, unilatéral et reconductible lié aux résultats des négociations avec le Việt Minh des conditions politiques et militaires suivant un calendrier précis. Le 06/06/1947 il obtint le feu vert sur son projet de déclaration de Paul Ramadier qui avait trouvé excessives les exigences de Valluy, et le 14 juin du Conseil des ministres en allant en France.

Mais le 12 août il fut convoqué d’urgence à Paris où s’était déjà rendu Valluy le 25 juillet. Il dut finalement se résigner à suivre les ordres du conseil interministériel réuni le 16 août à l’hôtel Matignon où Valluy et lui étaient entendus. Valluy, qui avait l’appui des 3 ministres MRP (Mouvement Républicain Populaire) Georges Bidault, Pierre-Henri Teitgen et Paul Coste-Floret, s’était opposé à l’action de Bollaert car il était en train de préparer une campagne pour annihiler les forces Việt Minh. Pour lui et les dirigeants de l'armée française, un combattant Việt Minh était un guérillero. Il suffirait de quelques campagnes avec des troupes puissantes pour l’écraser complètement.

Discours du 10/09/1947 de Bollaert

Dans le discours du 10/09/1947 à Hà Đông de Bollaert, il ne s'agissait pas d’un cessez-le-feu unilatéral. La France était restée consistante dans sa position. Les négociations se feraient sur la base d'un Việt Nam « libre dans l'Union Française ». “Libre” (tự do) ou “autonome” (tự trị) – et pas “indépendant” (độc lập) comme Hồ Chí Minh l’avait déclaré –. La différence pour les Vietnamiens était de taille, les deux premiers se rapportant à soi (tự=soi-même, do=résultant de, trị=gouverner) et le troisième se référant à sa position vis-à-vis des autres (độc=unique, lập=établir, instituer, fondements). La défense, les affaires étrangères et des responsabilités administratives comme la douane, l’émission de monnaie, la justice vis-à-vis des citoyens français, etc. restaient du pouvoir de la France. Le tout en bloc était à prendre ou à laisser. L’application impliquait la mise à la disposition de la France de l’armée Việt Minh – ce qu’avait déjà réclamé Valluy – et la coordination de Hồ Chí Minh et son équipe avec la France pour les relations internationales, ce qui ne leur pouvait être qu’inacceptable. L’appel était adressé à « toutes les familles spirituelles et morales » du pays.

Les déclarations de Bollaert commencèrent à intéresser Bảo Đại qui pensa qu'en arrivant à obtenir des Français le statut de “dominion” à l'anglaise de l’Inde, il aurait le support du peuple. Il appela alors les partis et les mouvements du pays à trouver avec lui une solution.

Les perspectives d'organiser une coalition nationaliste qui pouvait traiter avec les Français étaient plus favorables que ce qu'elles avaient été l'année précédente. Après les émotions suscitées par l'amour de la patrie durant les premiers moments de la déclaration d'indépendance de Hồ Chí Minh, le nombre de déçus avait beaucoup augmenté au vu des nombreux assassinats par le Việt Minh. Certains de ceux qui étaient allés rejoindre la résistance dans le maquis, lorsqu’ils le pouvaient, revenaient en ville pour y attendre des jours meilleurs. Avec les encouragements des Français, des Ủy ban Hành chánh lâm thời (Comité administratif provisoire) apparurent, le 12/04/1947 à Huế couvrant la gestion de trois provinces Quảng Trị, Thừa Thiên et Quảng Nam, et l'année suivante à Hà Nội pour gérer les territoires détenus par les forces armées françaises dans le Nord. Le 24/05/1947, l'ancien palais du gouverneur de Cochinchine, l'ex- palais Gia Long, était remis au gouvernement de la République autonome de Cochinchine.

Le traité d'Along et le protocole secret de limitation de l’indépendance (05/06/1948)

Les vingt-quatre[4] représentants des partis et groupements qui répondirent à l’appel de l’ex-empereur en venant à Hong Kong le rencontrer, transformèrent leur refus initial des propositions de Bollaert en une demande à Bảo Đại de trouver, « à travers une coopération avec la France, une solution pour le problème Việt Nam - France basée sur l'égalité et l'équité ». Ce choix de ne pas couper les ponts tout de suite, ni d'accepter les propositions françaises, fut exprimé par Bảo Đại le 18/09/1947.

En France, le 27/11/1947 un gouvernement de droite dirigé par Maurice Schumann remplaçait celui de Ramadier, et le nouveau ministre de la France d'Outre-mer, le MRP Paul Coste-Floret, était hostile à Hồ Chí Minh. Pensant que le moment était favorable pour les négociations, Bảo Đại accepta de voir Bollaert le 06/12/1947 à Hải Phòng sur le bateau amiral Duguay-Trouin. Les négociations qui s'ensuivirent, aboutirent à une déclaration commune, dans laquelle la France reconnaissait le droit du Việt Nam à l'“indépendance” et la liberté du peuple vietnamien de choisir son unification. Mais un protocole secret l'accompagnait avec une liste de limitations de cette indépendance, dont celles dans les domaines de la défense et des affaires étrangères. Bảo Đại apposa sa signature sur la convention à cause du mot “indépendance” accepté par les Français, et seulement ses initiales VT (pour Vĩnh Thụy) sur le protocole qui en précise les modalités d’application. Le 27/12/1947, sous forme d'une déclaration, les Français firent savoir qu’ils ne négociaient plus avec le Việt Minh et ils se tournaient vers Bảo Đại.

De retour à Hong Kong, Bảo Đại s'aperçut, après discussions avec les représentants des partis qui étaient tous contre ces limitations, qu'il s'était fait avoir par Bollaert. Il quitta Hong Kong le 26/12/1947 et a-près une visite de Londres, s'installa à Genève. Mais les cinq renconres qui eurent lieu du 7 au 13/01/1948 avec Bollaert n'aboutirent à rien. Bảo Đại fit savoir à Bollaert qu'il n'avait pas le pouvoir de signer un traité qui engageait la nation vietnamienne et que ce que voulaient les Français empêchait le peuple vietnamien à se joindre aux nationalistes.

Bảo Đại, revenu en France visiter sa famille, découvrit que ce que faisait Bollaert n'avait le soutien que d'une partie de la droite. La gauche et l'extrême gauche voulaient inclure le Việt Minh dans toute négociation, et le RPR (Rassemblement Pour la République) créé par de Gaulle en avril 1947, était totalement opposé à toute concession sur la souveraineté de la France sur l'Indochine. Tout traité qui se voulait viable devait être ratifié par l'Assemblée nationale.

En début de 1948, le Liên Minh Quốc Gia Việt Nam (Alliance Nationale du Việt Nam ou Liên Minh), une alliance des partis nationalistes, des Hòa Hảo, des Cao Đài de Tây Ninh et des Bình Xuyên, vit le jour sous la direction de Lê Văn Hoạch, dont le but était de soutenir Bảo Đại dans ses négociations avec les Français. Le 22/02/1948 une grande assemblée se tint à Sài Gòn, réunissant des représentants du Liên Minh, du gouvernement provisoire du Sud Việt Nam et des Ủy Ban Hành Chánh (Comité Administratif) du Nord et du Centre, pour créer un gouvernement provisoire pour tout le Việt Nam, mais finalement, elle décida d’attendre le retour de Bảo Đại.

En ce mois de mars 1948, Bollaert fut la cible d’une tentative d’assassinat à Nha Trang [5]. Qui pouvait vouloir sa mort ?

Le 26/03/1948, Bảo Đại proposa la formation d’un « gouvernement central provisoire » qui ferait la transition et participerait aux dernières négociations pour l’indépendance. Le 24/04/1948, il choisit le général Nguyễn Văn Xuân pour former ce gouvernement. Ngô Đình Diệm avait refusé le poste, voulant que la France accorde le statut de “dominion” à l’anglaise. Nguyễn Văn Xuân (1892-1989), le premier Vietnamien à intégrer l'École Polytechnique (X1912), nommé général de brigade en 1947, devint le premier général d’origine vietnamienne de l'armée française. Il fut nommé à la tête du gouvernement de la République autonome de Cochinchine le 01/10/1947 après l’avoir rebaptisé gouvernement provisoire du Sud Việt Nam.

Le 3 mai Bollaert accepta la création du gouvernement Nguyễn Văn Xuân, à condition que Bảo Đại déclarât que c’était le sien, et qu'il signât le traité déjà négocié, avec la partie sur les limitations de l'indépendance. Cela fut fait le 05/06/1948, en baie de Hạ Long (Along), Bảo Đại contresignant le traité signé par Nguyễn Văn Xuân. Le Việt Nam « à qui il appartient de réaliser son unité » était un État associé à la France dans l’Union Française. C’était une “indépendance limitée” acceptée pour le moment par Bảo Đại et les nationalistes.

Mais Bảo Đại envoya le 11/07/1948 une lettre à Bollaert précisant qu’il ne rentrerait pas au Việt Nam tant que la Cochinchine restait une colonie, et qu’il n’obtenait pas de garanties suffisantes sur l’indépendance du Việt Nam. En octobre 1948, le transfert de souveraineté attendu par le gouvernement Nguyễn Văn Xuân constitué le 20 mai, n’était pas encore fait. Les gouvernements Robert Schuman, André Marie, Henri Queuille qui se succédèrent du 19/07 au 11/09/1948 avaient autres choses à faire. Découragé, Bollaert ne renouvela pas son mandat le 19/10 et fut remplacé le 21/10/1948 par Léon Pignon. Celui-ci avait travaillé avec le GGI Pierre Pasquier quand les Français voulaient utiliser Bảo Đại après la révolte en 1930. Conseiller politique d'Argenlieu, il était impliqué dès le départ dans cette deuxième “solution Bảo Đại”.

Une Indépendance limitée : les accords de l'Élysée (08/03/1949)

Finalement le 08/03/1949, le président Vincent Auriol, agissant en tant que président de l'Union Française et au nom du gouvernement français, et Bảo Đại, chef de l’État du Việt Nam, signèrent les accords de l'Élysée qui se référaient à l’accord du 05/06/1948. La France reconnut le Việt Nam comme État associé, membre de l’Union Française, et s'engageait, de jure et de facto, ne pas empêcher le retour du Sud au Việt Nam à condition que son peuple eût été consulté au préalable. Concernant les peuples des hauts plateaux, un statut spécial leur serait réservé, à négocier entre la France et le Việt Nam. Sur l'indépendance du pays, les limitations restaient dans les domaines de la défense et des affaires étrangères. Sur les Français et les ressortissants de l'Union française et des pays à droits spéciaux, la loi française s'appliquait aux premiers et des tribunaux mixtes franco-vietnamiens aux seconds, etc.

Le Việt Nam n'était pas favorable à faire partie de l'Union Française dont les organes centraux étaient la Présidence, le Haut Conseil, et l'Assemblée de l'Union. Le Président était le président de la République Française, et donc les États associés n'avaient aucun pouvoir le concernant. Le Haut Conseil qui était constitué de représentants de la France et des États associés, n'avait qu'un rôle consultatif. L'Assemblée de l'Union était une assemblée consultative appelée à formuler des avis sur les questions qui lui étaient soumises soit par le gouvernement ou le Parlement français, soit par les gouvernements associés. Elle pouvait également saisir l'exécutif français, l'Assemblée nationale et le Haut Conseil de suggestions et de propositions, sous la réserve que les problèmes ainsi soulevés ne concernaient que la législation propre aux pays d'outre-mer. Ainsi les États associés ne pouvaient qu'émettre des avis, le pouvoir restant dans les mains uniquement de la France.

Le retour du Sud dans le Việt Nam étant une condition essentielle imposée par Bảo Đại pour son retour au Việt Nam, une loi fut votée par le Parlement français pour la création d'un Parlement du Sud (Nghị Viện Nam Kỳ). Le 25 avril 1949, ce Parlement de 64 membres (48 députés vietnamiens et 16 députés français) vota la réintégration du Sud dans le Việt Nam. Le mois suivant, l'Assemblée nationale Française ratifia cette décision. Bảo Đại déclara alors : « Parce que le peuple vietnamien s'est battu héroïquement pour l'indépendance de sa patrie, il aura le droit de choisir le régime futur du pays ». Le 2 juillet 1949, l’État du Việt Nam naquit officiellement.

La Conférence de Pau (27/06 – 29/11/1950)

Après la signature des accords de l'Élysée avec le Việt Nam, la France fit la même chose avec le Cambodge et le Laos, leur attribuant leur indépendance comme États associés dans le cadre de l'Union Française. Une conférence à Pau qui dura du 27/06 au 29/11/1950, fut organisée où les représentants des trois pays et la France travaillèrent sur le transfert, la distribution et la coordination des responsabilités dans chaque pays dans la Fédération Indochinoise. La piastre indochinoise restait la monnaie commune, et son émission et son contrôle furent donnés à un Institut d'émission avec un conseil d'administration composé des représentants des trois pays et de la France. Naturellement, la France était représentée partout.

Au bout de 5 mois de travail, le 30/12/1950, à travers 27 conventions, les pouvoirs divers en économie, finance, justice, culture, etc. furent transférés au gouvernement vietnamien. Tous les domaines étaient traités, y compris pour la défense où le rôle et l'action de l'armée vietnamienne étaient bien définis, ainsi que la répartition des bases militaires aux deux côtés. Pour les Vietnamiens, des choses étaient encore difficiles à accepter, en particulier dans la justice et dans le commerce, avec les privilèges accordés aux Français et aux citoyens des États associés imposés par les Français.

Alors que les États associés restaient insatisfaits des limitations imposées par les Français sur leur indépendance administrative et financière, la France considérait qu'elle leur avait déjà trop accordé.

La plupart des partis nationalistes, en particulier les VNQDĐ et ĐVQDĐ, étaient venus donner leur soutien au gouvernement Bảo Đại. Seule la communauté catholique du Nord forte de 1,7 million de membres, c’est-à-dire 6 % de la population du Nord, hésitait. Elle avait le complexe d'avoir été le responsable, l'instrument – “la pince” utilisée par les Français (le “crabe”), disait-elle – pour conquérir le Việt Nam, et donc trois de leurs évêques vietnamiens avaient accepté, après les événements d'août 1945, de rejoindre le front Việt Minh. Hồ Chí Minh, conscient de l'importance de cette communauté, avait nommé l'archevêque Lê Hửu Từ conseiller suprême du gouvernement. Les deux diocèses de Bùi Chu et Phát Diệm restèrent ainsi neutres jusqu'à la fin de 1949 quand le Việt Minh attaqua Phát Diệm.

Bảo Đại rentra au pays le 28/04/1949, sachant que tout avait été fait pour la réintégration effective du Sud dans le Việt Nam. Arrivé à Sài Gòn, il alla tout de suite à Đà Lạt. Le palais Norodom (futur palais de l'Indépendance) à Sài Gòn, symbole du vrai pouvoir, abritait toujours le haut-commissaire français. Les Français n'avaient remis aux Vietnamiens que le palais du gouverneur de Cochinchine, l'ancien palais Gia Long.

Le gouvernement de Nguyễn Văn Xuân ayant démissionné, le 01/07/1949 Bảo Đại forma le sien qu'il dirigea jusqu'au début de 1950, personne ne voulant devenir Premier ministre. Il avait comme vice-président Nguyễn Văn Xuân, et comme responsable des affaires étrangères et ministre de l'intérieur Nguyễn Phan Long (1888-1960), le journaliste, le caodaïste, l'ancien compagnon de Bùi Quang Chiêu dans le Parti Constitutionnaliste, et aussi comme lui, un franc-maçon. En début de 1950, Nguyễn Phan Long devint Premier ministre.

2. La naissance officielle de l’État du Việt Nam (26/01/1950)

La ratification le 26/01/1950 par l’Assemblée nationale française des accords de l’Élysée, légalisa l’existence de l’État du Việt Nam évoqué dans cet accord.

L’État du Việt Nam fut reconnu par les États-Unis le 07/02/1950, suivi par le Royaume Uni puis par d'autres pays occidentaux. La Thaïlande était le premier pays asiatique à le reconnaître. Les autres pays d’Asie la suivirent, sauf l'Indonésie et l'Inde qui, voulant rester neutres, ne choisirent ni l’État du Việt Nam, ni la RDVN.

Le retour de Bảo Đại n’entraîna pas la disparition du Việt Minh, comme l’avaient pensé en 1947 les Français qui s’illusionnaient de pouvoir le balayer en quelques campagnes militaires.

Parce que l’État du Việt Nam était considéré par la population vietnamienne comme une créature de la France où rien ne pouvait se faire sans son accord – un auteur le qualifia d’« indépendant mais ... » – pour elle, il n’était pas crédible. Et son existence renforçait le prestige de la RDVN qui menait elle-même ses affaires diplomatiques, avait sa propre armée, et se battait pour l’“indépendance complète”, c’est-à-dire pour le retrait total des Français du pays.

Aussi parce que le monde avait évolué et que la France refusait de s’en rendre compte : les États-Unis avaient accordé l’indépendance aux Philippines en 1946 ; l’Inde était devenue indépendante des Anglais en 1947, une vraie indépendance qui donna de l’espoir aux pays colonisés de la région ; la Birmanie des Anglais le 04/01/1948 ; et les Indonésiens des Hollandais le 01/12/1949. L'ex-empereur Bảo Đại qui avait fait tout ce qu'il avait pu, déplora : « Vraiment les Français n’ont pas compris ce qui s’est passé en Extrême Orient ».

Le gouvernement Nguyễn Phan Long (1950)

La politique de Nguyễn Phan Long était d'obtenir le soutien des Américains pour faire pression sur les autorités françaises d'accorder une indépendance complète à l'État du Việt Nam, et faire revenir les patriotes non communistes qui étaient dans le camp du Việt Minh.

En août 1949, il déclara à des journalistes américains que le gouvernement du chef d'État Bảo Đại voulait que l'accord du 08/03/1949 soit compris de la manière la plus ouverte possible : celui d'aider le Việt Nam à devenir indépendant ayant un statut analogue à celui de l'Australie dans le Commonwealth. Les journaux français de Sài Gòn écrivirent alors qu'« il est dangereux d'écouter les nationalistes, même s'ils sont anticommunistes, au fond d'eux-mêmes, ils veulent toujours pousser les Français à la mer ». Un rapport envoyé de Hà Nội au mi-nistère des affaires étrangères américain datée du 07/09/1946 mentionnait déjà l'hésitation du gouvernement français devant les partis natio-nalistes vietnamiens et son manque de courage vis-à-vis du Việt Nam. Cela ne plut pas aux Français qui considéraient Nguyễn Phan Long comme américanophile, et la campagne d'encouragement au retour des membres non communistes du Việt Minh qui eut peu de résultat le mit en mauvaise position auprès des partis nationalistes qui l'accusaient d'être ambigu vis-à-vis du Việt Minh.

Le gouvernement Trần Văn Hửu (1950-1952)

Après quatre mois au pouvoir, Nguyễn Phan Long céda son poste en avril 1950 à Trần Văn Hửu, un homme qui avait la renommée d'être un fidèle des Français et d'avoir leur soutien). Issu d'une famille riche du Sud, Trần Văn Hửu (1896-1984) avait commencé sa carrière com-me ingénieur agronome. Il avait participé dans le gouvernement de la République autonome de Cochinchine du Dr. Nguyễn Văn Thinh, et avait remplacé le successeur de ce dernier, le Dr. Lê Văn Hoạch.

Il déclara, à sa prise de pouvoir, changer la politique de Nguyễn Phan Long concernant le Việt Minh. Il le pourchassa et son ministre de l’Intérieur Nguyễn Văn Tâm lui fut d’une aide importante. Contrairement à ce qu'on pouvait penser, aux négociations de Pau sur le transfert administratif des responsabilités des Français aux Vietnamiens, lui et ses hommes avaient fait leur possible pour obtenir le maximum d'indépendance vis-à-vis des Français.

Le Cao Đài Liên Minh et le Mặt Trận Quốc Gia Kháng Chiến Việt Nam de Trình Minh Thế s’opposent aux Français et aux communistes (1951)

La nuit du 06/06/1951, le colonel caodaïste Trình Minh Thế avec 2 500 hommes de troupes, quitta en cachette Tây Ninh et alla se constituer un maquis non communiste indépendant dans la forêt Bưng Rồ dans la montagne Bà Đen (la Dame Noire). Plus tard, il déplacera ce maquis dans la forêt de Bù Lu, près de la frontière cambodgienne [6]. Il ne voulait être, ni avec le Việt Minh parce que celui-ci était communiste, ni avec le gouvernement de Bảo Đại qu'il considérait ne pas être vraiment indépendant des Français. Il exprimait ainsi ouvertement ce que le peuple et les partis nationalistes, insatisfaits de la situation, pen-saient : rien ne pouvait se faire sans l'accord des Français, la vraie indépendance n'était pas encore là. Une fois arrivé au maquis, il annonça à ses troupes la naissance du Quân Đội Quốc Gia Liên Minh (l'Armée de l’Alliance Nationale), encore appelé Cao Đài Liên Minh (Alliance Cao Đài), et leur fit savoir qu'avant de partir, il avait envoyé à toutes les missions diplomatiques étrangères une lettre traduite en anglais et en français dans laquelle il expliqua qu'il était en train d’ouvrir la route pour un soulèvement national contre le rétablissement de la domination française et contre la mainmise des communistes. Il avait par ailleurs envoyé secrètement le capitaine Văn Thành Cao, le directeur de l'école militaire caodaïste à Sa Đéc, organiser l'assassinat du général Charles Chanson [7] à Sa Đéc le 31/07/ 1951, qui entraîna aussi la mort de Thái Lập Thành, gouverneur du Sud et maire de Sài Gòn.

Le 20/08/1951, un Hội Nghị Đại Biểu Quốc Gia rộng lớn (Congrès de délégués nationalistes élargi) organisé près du maquis, qui rassembla des personnalités connues comme Vũ Hồng Khanh, Trần Văn Văn, le Dr Nguyễn Xuân Chữ, etc. décida la création d'un Mặt Trận Quốc Gia Kháng Chiến Việt Nam (Front Nationaliste de Résistance du Việt Nam) qui reprenait les idées du Cao Đài Liên Minh de Trình Minh Thế. Ngô Đình Nhu et Ngô Đình Luyện faisaient partie de ceux qui étaient contactés pour le développement de ce Front.

Sachant que Trình Minh Thế avait beaucoup de supporters, les Français encerclèrent son territoire et coupèrent ses lignes d'approvisionnement.

Le gouvernement Nguyễn Văn Tâm, le tigre de Cai Lậy (1952-1953)

Le 06/06/1952, Nguyễn Văn Tâm (1893-1990), le hùm xám Cai Lậy (le tigre de Cai Lậy), remplaça Trần Văn Hửu qui ne s'entendait plus avec Bảo Đại.

Avant le coup de force des Japonais, Nguyễn Văn Tâm gérait Cai Lậy où il avait bâti sa réputation de tigre en réprimant durement une jacquerie. En 1945, torturé sauvagement par les Japonais après leur coup de force, il s'en était sorti en leur disant : « Vous avez le culte de l’amitié et ne reniez pas vos amis, je dois ma carrière aux Français, vous ne pouvez pas me le reprocher ». Le Việt Minh qui l’arrêta peu après, lui coupa un doigt et tua deux de ses fils encore très jeunes.

Il avait rang de Đốc Phủ Sứ (gouverneur). Comme chef de la Sûreté, puis ministre de l'intérieur de Trần Văn Hửu, il n'hésitait pas à pratiquer la torture et l'assassinat comme Nguyễn Bình pour nettoyer le réseau terroriste de celui-ci. Il fit exécuter sommairement par ses services les agents Việt Minh infiltrés dans Sài Gòn et capturés sur dénonciation des indicateurs, et fit accrocher sur leurs cadavres exposés en pleine rue, une pancarte du genre « il est un agent des communistes, il a été puni ». Il put faire ce que la Sûreté française n'avait pas pu : démanteler le réseau des terroristes Việt Minh de Sài Gòn et arrêter son chef Lê Văn Linh en plein sommeil chez lui.

Contrairement à Trần Văn Hữu qui n'utilisait que des gens du Sud, le gouvernement Nguyễn Văn Tâm (06/1952-17/12/1953) s'allia avec le Đại Việt au Nord et avec le pharmacien Phan Văn Giáo, gouverneur du Centre nommé par Bảo Đại le 03/07/1949. Il prit un certain nombre de décisions pour accroître le soutien de la population : émission d'une Loi du Travail avec des décrets d'application pour la création des syndicats et la réglementation de leur activité, mise à l'étude d'une loi de réforme agraire, création d'un Hội Đồng Tư Vấn quốc gia (Conseil national de conseillers) de 21 membres choisis par le chef de l’État. En particulier un budget national était étudié et mis en application, ce qu'aucun gouvernement antérieur ne l'avait fait. Dans ce budget, la partie militaire s'élevait à 300 millions de piastres indochinoises, équivalentes à 58 % du total des dépenses.

À la fin de 1952, un grand pas était fait vers la complète indépen-dance avec l'existence d'une armée régulière et d'un budget d'État.

La dévaluation de la piastre

Le 09/05/1953, le gouvernement français décida seul de dévaluer la piastre indochinoise, ramenée de 17 francs fixé en décembre 1945, à sa valeur 10 francs d'avant-guerre pour se synchroniser avec sa valeur en Asie. Cela entraîna une crise avec le gouvernement vietnamien.

Suivant les accords de l'Élysée du 08/03/1949, « cette parité [entre la piastre et le franc] ne pourra être modifiée qu’après consultation des états associés d’Indochine ». Pour le gouvernement vietnamien, c’était l’“engagement” de la France vis-à-vis de l’Indochine qui était désormais mis en cause[8]. Le Laos manifesta aussi son humeur.

Sur les faits, cette dévaluation éleva le coût des importations, augmenta le coût de de la vie, donc abaissa la valeur des revenus d'une certaine partie de la population, en particulier les soldes des soldats de l'armée française, et eut des répercussions sur le budget de la défense. Il faut noter qu'avant la dévaluation, le milieu des affaires et les capitalistes français sentant que cela allait arriver, avaient déjà transféré leur fortune ailleurs. Ils ne croyaient plus à l'investissement en Indochine, donc à son avenir.

Le mécontentement de la population se manifesta lors des premières élections organisées en janvier 1953 dans les zones détenues par l'État du Việt Nam, même si cela ne put toucher qu'un tiers de leur population. À Hà Nội, la liste gagnante préconisait l'unification réelle du pays, l'élection d'une Assemblée nationale et des négociations pour faire cesser les combats.

Dans le même temps le roi Norodom Sihanouk du Cambodge fit une action d'éclat en envoyant de Paris au Président français en début de février 1953 deux lettres dans lesquelles il disait que 80 % de la population khmère réservait leur sympathie au groupement indépendantiste Khmer Issarak, parce que l'indépendance du Cambodge n'était pas complète, notamment dans la défense, la finance et la justice. Puis, à Montréal, il déclara que, bien que le Cambodge eût besoin du soutien de la France, son indépendance réelle l'aiderait à contrer les communistes qui disaient lutter pour l'indépendance de la patrie. Arrivé à New York, il fit savoir, dans une interview du New York Times, que si la France n'accordait pas une indépendance complète au Cambodge, il y aurait un réel danger que dans les prochains mois, la population de son pays ne se soulève et ne s'associe au Việt Minh. Ensuite à Tokyo, il annonça qu'il attendait les résultats des négociations entre la France et le Cambodge commencées en avril sous la pression de ses déclarations. Au milieu de mai, il revint au Cambodge, puis alla se réfugier à Bangkok, en attaquant le piétinement sur place de la France.

Nguyễn Văn Tâm démissionna le 17/12/1953. Sa réforme agraire n'eut pas de succès, en raison de l’opposition des propriétaires terriens (n’étant pas issu de ce milieu) et des colonialistes français dans le pays. Son idée de création d'une Assemblée nationale ne fut pas suivie par Bảo Đại qui y vit une perte de son pouvoir, et deux scandales l'avaient finalement obligé de partir, l'un sur les fastueux cadeaux de mariage de sa fille reçus des chinois de Chợ Lớn, et l'autre sur sa femme qui avait profité de sa position pour obtenir d'importantes affaires.

Le gouvernement Bửu Lộc (1954)

Le prince Bửu Lộc (1914-1990) présenta son gouvernement le 11/01/1954.

Devant la situation critique de Điện Biên Phủ et sachant qu'une partie du gouvernement français était en faveur d'une négociation avec le Việt Minh, Bảo Đại se rendit le 10//041954 à Paris pour essayer d'accélérer les discussions sur l’indépendance complète du Việt Nam.

Avant de partir, il signa deux décrets. Le premier créait un cabinet de guerre qui prendrait toutes décisions nécessaires en ce temps de guerre, et dont la composition était limitée au Premier ministre, aux ministres de la défense et de l'intérieur, au chef d'état-major des armées et au secrétaire du cabinet du chef de l’État qui avait rang de ministre, Le second établissait l'intégration des forces Cao Đài et Hòa Hảo dans l'Armée nationale du Việt Nam. Il y eut des rechignements, mais tout se passa bien, car sur les faits, elles restaient indépendantes.

Une autre décision choqua beaucoup de monde et abaissa l'estime envers Bảo Đại et Bửu Lộc. Le 30/04/1954, Bảo Đại signa un décret confiant à Lai Hữu Sang, le bras droit de Bẩy Viễn, le chef des Bình Xuyên, la sûreté et la police nationale. Lai Hữu Tài, le frère de celui-ci, obtint le commandement de la police de l'agglomération de Sài Gòn-Chợ Lớn. Mai Hửu Xuân, que remplaça Lai Hữu Sang, qui avait fait un très bon travail, fut muté à l'armée avec rang de général de brigade. Les Bình Xuyên étaient des gangsters qui géraient jeux et prostitutions, et ils se retrouvaient en charge de la police ! Les hommes de Mai Hữu Xuân qui avaient eu affaire dans le passé à des Bình Xuyên, préférèrent suivre leur chef et rejoindre l'armée.

3. Les dernières négociations pour la complète indépendance (03/03-04/06/1954)

La Lettre du gouvernement Laniel sur la complète indépendance (03/071953)

En France, après la chute du gouvernement René Mayer, le 03/07/ 1953, le nouveau gouvernement Laniel, probablement sur les conseils du GGI Letourneau, envoya officiellement aux représentants du Việt Nam, du Cambodge et du Laos à Paris, une lettre affirmant que la France était prête à finaliser la complète indépendance et la souveraineté totale des états associés, à travers le transfert des responsabilités restantes, après résolution par négociation des derniers désaccords dans les domaines économique, financier, juridique, militaire et politique.

Bảo Đại, de Paris, envoya le prince Bửu Lộc, à ce moment haut représentant du Việt Nam en France, organiser à Sài Gòn une Quốc Dân Đại Hội (Grande Assemblée du peuple) tenue à partir du 12/10/ 1953 au palais municipal de Sài Gòn. Celle-ci conclut par une résolution affirmant « le refus d'appartenir à l'Union Française telle qu'elle est définie actuellement », phrase qui avait finalement remplacé celle choisie à l'origine de « demande de l’indépendance totale ». Il était mentionné en plus que tout traité et accord devait être ratifié par une Assemblée nationale élue par le peuple, et que toute décision, proposition, ou discussion sur le Việt Nam dans une réunion internationale quelconque ne serait considérée sans l'approbation du gouvernement du Việt Nam[9].

À la fin d'octobre 1953, des discussions enflammèrent l'Assemblée nationale française au débat mené sur cette résolution du Quốc Dân Đại Hội (Grande Assemblée du peuple). La plupart des députés voulaient négocier une paix avec Hồ Chi Minh. Mais, le professeur Bửu Hội, envoyé à Rangoon (Birmanie) à la fin de 1952 contacter le Việt Minh, n’eut pas de succès ; le 02/09/1953, Hồ Chí Minh avait déclaré que « seule une victoire complète mènerait à la paix » ; et enfin, les Américains, qui supportaient de plus en plus les charges financières militaires des Français, ne voulaient pas que le communisme s'étende encore dans la région.

Le 29/11/1953, Hồ Chí Minh donna une interview au journal suédois Expressen : il était prêt à étudier toute proposition des Français, et que la condition essentielle d'un cessez-le-feu était “le respect français de l'indépendance véritable du Việt Nam”.

Le 01/12/1953, Ngô Đình Nhu, dans une interview de l'Associated Press à Sài Gòn, accusait la France de se préparer à trahir le Việt Nam. Il exprima de cette façon le souci commun de nombre de nationalistes qui commençaient à avoir peur d'une négociation de la France avec le Việt Minh, puis de son départ en les laissant encore faibles devant les forces communistes.

4. L“indépendance totaleˮ (04/06/1954)

Le 03/03/1954, Bửu Lộc arriva à Paris avec une délégation négocier avec la France, sur la base de la déclaration du 03/07/1953 du gouvernement Laniel d'accorder « la complète indépendance et la souveraineté totale des états associés ». Les négociations piétinèrent, les Français restant dans l’attente de la conférence de Genève.

Le 25/04/1954, un jour avant le début de la conférence de Genève (26/04/1954), le secrétariat de Bảo Đại à Paris émit une déclaration disant en substance que malgré les promesses de la France, le Việt Nam n'avait toujours pas les garanties effectives de son indépendance et de son unification dont il avait droit en tant qu'état libre et égal. Sur l'uni-fication, elle précisait qu'il y avait plusieurs projets dont la conséquence était la division du pays, que cela donnerait des bénéfices diplomatiques à court terme à ceux qui les prôneraient, mais dont la mise en application amènerait des inconvénients importants et des dangers pour l'avenir. Le Việt Nam, disait-elle, n'accepterait pas les résultats de négociations de la France avec les ennemis du peuple vietnamien, sacrifiant ainsi les intérêts de son allié. Le chef de l’État et son gouvernement ne se considéraient pas liés par des décisions qui iraient à l'encontre de l'indépendance et de l'unité du pays, qui violeraient le droit de décision des peuples, et qui seraient en opposition aux principes de la Charte des Nations Unis et de l'idéal démocratique.

Ce fut seulement le 28/04/1954, deux jours après le commencement de la conférence de Genève, près de deux mois après le début des négociations (03/03/1954), et probablement en réponse à la décla-ration de Bảo Đại faite le 25 avril, que la délégation de Bửu Lộc et le côté français arrivèrent à s'enten-dre pour émettre une déclaration commune sur l’“indépendance complète du Việt Nam. Deux traités, l’un sur l’indépendance (« la France reconnaît le Việt Nam comme un État pleinement indépendant et souverain »), et l’autre, sur les relations futures entre l’État du Việt Nam et la France, furent finalement signés le 04/06/1954, presque un mois après la fin de la bataille de Điện Biên Phủ (07/05/1954).

On pouvait se demander si cette indépendance complète aurait été vraiment accordée après une fin de la bataille de Điện Biên Phủ à l’avantage des Français.

[1] « Les nationalistes hostiles au Việt Minh ont été éliminés avec le soutien français au cours de l’année 1946 » réf : Léon Pignon, l’homme-clé de la solution Bao Dai et de l’implication des États-Unis dans la guerre d’Indochine, article de Daniel Varga, Outre- mers Revue d’histoire, 2009, p 288.

[2] Le principal initiateur de cette solution était Charles-Henri Bonfils, un administrateur sous Pasquier et Decoux devenu conseiller politique de Bollaert puis en 1948 de Léon Pignon. D’Argenlieu, dont Pignon était le conseiller politique, fut aussi convaincu de la solution Bảo Đại avant son rappel en France.

[3] Biographie d’Émile Bollaert écrite le 26/02/ 2017 par Alain Bollaert, son fils cadet - chapitre 9 tentatives de paix au Vietnam et chapitre 8 l’Indochine en mars 1947.

[4]  Ngô Đình Diệm était parmi eux.

[5] Biographie d’Émile Bollaert écrite le 26/02/ 2017 par Alain Bollaert, son fils cadet - chapitre 9 tentatives de paix au Vietnam et chapitre 8 l’Indochine en mars 1947.

[6]  Phong Trào Kháng Chiến Trịnh Minh Thế (Mouvement de Résistance Trỉnh Minh Thế), Nhị Lan, Lion Press, 1985.

[7] https://www.nhatbaovanhoa.com/p186a3150/1/nhi-lang-mai-huu-xuan-da-giet-trinh-minh-the.

[8]  La Piastre et le fusil, le coût de la guerre d'Indochine 1945-1954, Hugues Tertrais, Annexe 14 article de Jean Lacouture dans Le Monde du 12 mai 1953.

[9] 29 députés des conseils des provinces et des villes, 50 députés des conseils de village, 8 représentants des associations professionnelles (associations des médecins, des avocats, etc.), 25 représentants des partis politiques, 6 délégués des entreprises, 3 représentants de la presse, 3 représentants des organisations culturelles, 9 représentants des Bình Xuyên, 17 représentants des caodaïstes (de Tây Ninh), 15 représentants des Hòa Hảo, 15 représentants des catholiques, 4 représentants des bouddhistes, 1 représentant du Phật Giáo Khất Thực (bouddhistes qui font la quête de nourriture, c’est-à-dire du Théravada), et 5 représentants des minorités ethniques, étaient présents à cette Assemblée.