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1.Pourquoi les Français ont divisé le Việt Nam en trois (par Pierre Brocheux)

Pierre Brocheux a présenté un écrit qui démontrerait pourquoi les Français ont divisé le Việt Nam en trois kỳ, la Cochinchine (le Sud), l’Annam (le Centre) et le Tonkin (le Nord).

Mon livre en parle et le cite[1] :

« Dans son livre Histoire du Vietnam contemporain, la nation résiliente, Ed. Fayard, le professeur Pierre Brocheux explique les possibles raisons de la division du Việt Nam en trois entités. Il cite l’extrait suivant de “Note sur la répartition de nos forces militaires en Indochineˮ du 15 juillet 1885 de Jules Harmand, dans “Mémoires et Documents Asieˮ, T.57, p. 112-115.»

Jules Harmand (1845-1921) était médecin de la marine, explorateur (mission Francis Garnier) et diplomate (commissaire de France aux Việt Nam, Laos Cambodge). Il représentait le gouvernement français de la Troisième république lorsqu’il cosigna le traité de Huế en août 1883, traité par lequel la cour de Huế reconnaissait le protectorat français sur l’Annam et le Tonkin (les provinces du sud /Lc Tnh avaient déjà été conquises et annexées sous le nom de Cochinchine.

« Nous ne devons pas oublier que la nation annamite, d'une homogénéité sans exemple dans toute l'Asie, compose une unité positivement redoutable pour un conquérant très éloigné de sa base d'opérations, un peuple dont l'histoire, depuis les temps les plus lointains jusqu'à nos jours, le fait apparaître à l'observateur comme possédant au plus haut degré l'esprit de patriotisme, ou plus exactement le sens de la race, et qu'il serait très dangereux pour nous de le voir se réunir tout entier dans une haine commune dont nous serions l'objet […] . Qu'on soit donc convaincu d'une chose, c'est qu'il n'y a, pour ainsi dire, qu'un seul Annamite depuis le Kouang-Si jusqu'aux frontières du Cambodge et du Siam, que tous les Annamites ont les mêmes idées, les mêmes mœurs, les mêmes aspirations, les mêmes rancunes, la même organisation comme ils ont la même langue et les mêmes lois ; qu'il y a moins d'antagonisme réel entre les Annamites du Tonkin et leurs frères du Sud qu'il y en a chez nous entre un Breton et un Provençal et qu'il n'existe pas en particulier un seul “Tonkinois” qui désire voir ses mandarins “annamites” remplacés par des chefs français […] . Il n'est pas en Annam un seul lettré et même un seul enfant à l'école, un seul homme du peuple qui ne connaisse les noms et les hauts faits, devenus légendaires, des rois et des chefs de bande qui ont levé, pendant des siècles, l'étendard de la révolte contre les envahisseurs chinois et ont réussi enfin à les chasser […]

C'est pour ces raisons que nous devrions scinder l'Annam en plusieurs tronçons […], disloquer la cohésion de l'Annam, le découper, pour ainsi dire, en une série de segments ou de tronçons, sans qu'il ne puisse jamais réunir toutes ces forces contre nous » .

« Autrement dit, le diplomate français qui avait officialisé la fracture de l’état Vietnam ou Đại Nam en trois entités politico-administratives, souligne l’ancienneté et la forte cohésion de la nation vietnamienne » m'écrit Pierre Brocheux.


[1]Viet Nam- L’histoire politique des deux guerres- Guerre d’indépendance (1858-1954) et guerre idéologique ou Nord-Sud (1945-1975), préfacé par Pierre Brocheux, écrit par Nguyen Ngoc Chau et publié par les Editions Nombre 7, Nîmes, 2020.

2.Henriette Bùi Quang Chiêu ou l'itinéraire particulier de la première femme médecin vietnamienne (1906 -) par Trần Th Liên

https://drive.google.com/file/d/1WfoqMMqHkNgTrtGFdKgNqdX-SwApgX40/view?usp=sharing

Dr Henriette Bùi Quang Chiêu (2è à, partir de la gauche) et sa famille dont son père Bùi Quang Chiêu, chef du Parti Consti-tutionnaliste


On connaît peu la vie du Docteur Henriette Bui Quang Chieu. Son patronyme est certes bien connu, mais c'est la personnalité de son père, figure politique de l'entre-deux-guerres, fondateur du Parti constitutionaliste indochinois et partisan de la voie réformiste, qui a concentré tout l'intérêt des chercheurs. Or, il nous semble qu'elle mérite qu'on s'intéresse à son itinéraire particulier tant elle fait figure de pionnière: Henriette Bui Quang Chieu fut la première femme vietnamienne à devenir docteur en médecine à l'âge de 28 ans, et la première femme vietnamienne à devenir chef de service dans la structure hospitalière coloniale. Elle fut aussi la première femme à se mettre à l'école de l'acupuncture au Japon dès les années 50.

Dans l'historiographie française concernant le Vietnam, rares sont les études qui se sont intéressées aux femmes en tant que telle. L'indigène des colonies en général, et la femme vietnamienne en particulier, souffre d'un angle d'approche très réducteur, marqué par le regard "colonial" sur la femme indigène perçue essentiellement dans sa dimension sexuelle, avec toute la dimension fantasmatique qu'il comporte. (RUSCIO, 1996). Dans sa thèse, Nguyen Van Ky a abordé de manière novatrice la femme vietnamienne de l'entre-deux-guerres en s'intéressant à la condition féminine et ses efforts d'émancipation, ainsi qu' à la femme dans les relations du couple conjugal et dans les rapports intrafamiliaux. (NGUYEN VAN KY, 1995)

En évoquant l'itinéraire particulier du Docteur Henriette Bui, nous voudrions apporter une illustration des nombreuses transformations qui se produisirent pendant l'entre-deux-guerres en ce qui concerne les femmes. Henriette Bui Quang Chieu est peu représentative de la majorité de ses contemporaines, tant par ses choix de vie que par son milieu. Elle ne semble, par ailleurs, se classer dans aucun des types de femmes qu'évoque David Marr dans le chapitre "la question des femmes" de son livre Vietnamese tradition on trial 1920-1945 à savoir, la femme traditionnelle, la femme engagée dans des organisations ou dans la presse féminine, et la femme engagée politiquement dans un mouvement politique notamment le Parti Communiste Indochinois. (MARR, 1984) Elle fut une femme médecin qui par sa profession et ses choix de vie, chercha tout simplement à affirmer son individualité, avec une grande indépendance d'esprit face à son temps et aux milieux dans lesquels elle vécut.

Cet article est donc avant tout l'ébauche d'une biographie future car cette contribution est essentiellement basée sur les nombreux entretiens que nous avons eu avec le Docteur Bui. (Les citations entre guillemets de Henriette Bui proviennent de ces entretiens faits à Paris ces 6 dernières années. La date de l'entretien suit, entre parenthèses.) Exceptées quelques rares photos, ses archives privées (correspondances, journal, photo) ont été détruites et perdues pendant la guerre. La source orale présente selon nous un intérêt tout particulier du fait de la sous-présence des femmes dans les archives coloniales, et du fait de la destruction de sources innombrables pendant une guerre presque ininterrompue (1945-75). Une collecte des mémoires féminines constitue selon nous un apport intéressant à l'histoire contemporaine de la femme vietnamienne, entre tradition et modernité.

Nous avons par ailleurs consulté quelques journaux de l'époque (La Tribune indigène, Dan Ba Moi (La femme moderne), Phu Nu Tan Van (Nouvelles des femmes)). Mais pour une biographie plus complète, le travail demande à être approfondi par une consultation plus systématique de la presse de l'époque, par un travail de recherche dans le Centre des Archives d'Outre-Mer (dossiers sur la famille Bui Quang Chieu, et sur les étudiants vietnamiens en France dans le Fonds de la Sureté, ainsi que son dossier personnel en tant que fonctionnaire hospitalier) et par l'interview d'autres personnes ayant connu Henriette Bui. Nous tenons ici à remercier vivement le Docteur Henriette Bui pour les multiples entretiens qu'elle nous a accordé, et sa gentillesse à nous recevoir et sa patience à nous répondre. Nous remercions aussi Pierre Brocheux pour ses précieuses remarques et suggestions.

Henriette, fille de Bui Quang Chieu et Vuong Thi Y: la bourgeoisie cochinchinoise

Henriette Bui Quang Chieu est née à Hànoi le 8 septembre 1906. Sa mère, Vuong Thi Y était une métisse chinoise, dont le père, Chinois de Cholon, était à la tête d'une raffinerie d'opium. Fortement liée à sa famille chinoise, sa mère jouissait par ailleurs d'une grande fortune personnelle qu'elle investit dans l'immobilier (notamment à Phu Nhuan) ainsi que dans le commerce du tissus. C'est elle qui finança en grande partie les études de médecine à Paris de son fils aîné Louis. Mais elle mourut précocement de la tuberculose en 1916. Henriette Bui garde de sa mère le souvenir d'une femme indépendante, volontaire et ambitieuse, éloignée de l'image encore largement dominante au début du siècle de la femme traditionnelle de la société confucéenne. C'est à sa mère que Henriette Bui attribue la ferme volonté que ses enfants étudient en France, au niveau le plus élevé.

Quant à son père, il était issu d'une famille de lettrés de Hué. Bui Quang Chieu fut parmi les premiers à obtenir une bourse d'études en France: après avoir passé son bac à Alger, il poursuivit ses études en France à l'Institut National d'Agronomie, dont il sortit en 1887. Bui Quang Chieu revint au pays avec son diplôme en poche, ainsi que la nationalité française et fut nommé ingénieur agronome dans les services agricoles de l'Union indochinoise à divers endroits.

Actif dans le domaine tant économique qu'associatif, Bui Quang Chieu fut surtout connu pour ses activités politiques à la tête du Parti Constitutionnaliste et du journal "la Tribune indochinoise". Personnalité politique dominante de Cochinchine pendant l'entre-deux-guerres, il revendiquait nettement sa filiation avec Phan Chu Trinh, prônant la voie réformiste et excluant tout recours à la violence armée. Comme le résume bien Pierre Brocheux: "Bui Quang Chieu est un partisan résolu de l'association franco-annamite et non de l'assimilation.(...) Chieu compte sur la France républicaine pour faire évoluer ses colonies. (...) Il faut que la France associe l'élite locale aux affaires. (...) La modernisation conduira progressivement le Vietnam vers l'autonomie, si ce n'est l'indépendance, dans un cadre comparable à celui du Commonwealth britannique."(BROCHEUX, 1994, p. 156) Bui Quang Chieu resta par ailleurs toujours proche de l'ex-empereur Ham Nghi en exil, qui fut son correspondant à Alger. Considéré par les communistes comme un fervent partisan de la collaboration avec les Français, Bui Quang Chieu n'en fut pas moins vilipendé par l'administration coloniale, qui le considérait comme "le pire des anti-français, poursuivant le même but que les nationalistes et les révolutionnaires". (BROCHEUX, 1994, p. 157)

Une enfance au Vietnam (1906-1920)

La première enfance d'Henriette Bui fut marquée par la mobilité géographique qui caractérisait la vie de famille d'un fonctionnaire de l'administration coloniale. Les lieux des naissances de ses frères et soeurs en témoignent: les trois premiers enfants naquirent à Hué: Henri en 1901, Louis en 1903, Hélène en 1904. Quant à Henriette, elle vit le jour à Hànoi en 1906, sa sœur Madeleine (Bui Thi Long) à Tan Chau (Chau Doc) en 1909 et Camille à Lyon en 1912. En effet, c'est dans les années 1909-1913 que Bui Quang Chieu se lança dans l'industrie de la soie dans la région de Chau Doc et qu'il partit à Lyon faire un stage de 3 années, accompagné de toute sa famille. Ainsi, Henriette fit-elle la première expérience de vie en France dès l'âge de 4-7 ans.

Henriette Bui vécut en outre dans un environnement multi-culturel: mère métisse chinoise/ père vietnamien, combiné avec une éducation française/vietnamienne, à laquelle il faut ajouter des bases de culture chinoise (que lui enseigna un de ses grand-oncles maternels). On peut également ajouter une mixité religieuse importante: au sein de l'élite bourgeoisie cochinchinoise très francisée, les appartenances religieuses n'étaient pas un facteur de dissension, et des liens étroits existaient entre des familles de tradition plutôt bouddhiste (comme celle de sa mère), d'appartenance aux sectes caodaistes (comme la famille de Nguyen Ngoc Bich) et de confession catholique (comme la famille de Pham Ngoc Thuan), tandis que son père était franc-maçon. (DALLOZ, 1998)

Parlant de son père, Henriette Bui évoque un père ouvert, attentif à ses enfants, et extrêmement libéral. Elle se rappelle avoir parlé très librement avec son père, y compris quand elle n'était pas d'accord avec lui. Elle évoque aussi l'importance de l'identité vietnamienne que son père essaya de leur transmettre, parallèlement à leur éducation française du lycée: "A la maison, mon père ne nous parlait jamais de politique, par contre il nous parlait souvent de l'histoire du Vietnam parce qu'on ne l'étudiait pas du tout à l'école. Il estimait aussi important de garder les tradition vietnamiennes, tout en apprenant les sciences occidentales." (8/9/1993)

Après avoir débuté ses études primaires à l'école des soeurs "Nha Trang" à Saigon, elle fut admise à partir de 1915 à l'Ecole Primaire Supérieure des jeunes filles de Saigon, puis au lycée Marie Curie. Incontestablement, la jeune Henriette fut une élève d'une intelligence vive, mais de caractère frondeur et indiscipliné. Première dans toutes les matières, elle était dotée d'une mémoire remarquable. Passionnée par l'Histoire/géographie, elle choisit l'orientation latin grecque, dans le but de passer plus tard l'agrégation d'histoire.

C'est avec succès qu'elle réussit son certificat d'études en 1920, alors qu'elle n'était qu'en Cours Moyen 1ere année. Mais en fait, depuis que son frère aîné était parti étudier la médecine, Henriette ne rêvait que de pouvoir faire la même chose: "J'étais obsédée par l'idée d'aller étudier la médecine en France. Comme j'étais très dissipée, j'ai réussi à me faire mettre à la porte du lycée. J'avais toujours zéro en conduite, et 9 ou 10 pour le travail, et donc je ne recevais pas la médaille à cause ma mauvaise conduite. Mon père me disait tout le temps: "Que va-t-on faire de toi?" Et je lui répondais: "M'envoyer en France". Mon père était désespéré et me demandait ce que j'allais faire en France toute seule. Je lui répondais que je voulais passer mon bac, et puis étudier la médecine. Mon père me traitait de folle. Mais tous les jours j'insistais et je l'embêtais avec çà. Il a finit par céder. C'était en 1921". (8/9/1993)

Comme un certain nombre de membres de l'élite vietnamienne qui envoyait leurs enfants faire des études essentiellement scientifiques et techniques à l'étranger (Dong Du et Tay Du) dans le but qu'ils puissent par la suite servir leur pays en le modernisant, Bui Quang Chieu envoya ses enfants en France: à Paris, Louis étudia la médecine, Camille intégra HEC. Par ailleurs, comme la plupart de ses rares contemporains qui furent les premiers à étudier en France, Bui Quang Chieu avait la conscience aiguë de la nécessité d'une maîtrise parfaite de la langue et de la culture française pour revendiquer et obtenir un statut d'égalité avec les Français en Indochine. C'est pourquoi, ses enfants partirent dès l'adolescence passer leur baccalauréat en France.

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3.Lettre de Hoàng Xuân Hãn (X30) aux anciens de l'Ecole polytechnique pour sauver Nguyễn Ngọc Bích (X31)

https://drive.google.com/file/d/1ztaW29wVz68tMtfQIyxSskz2L9b3-3g1/view?usp=sharing

Lettre ouverte de Hoàng Xuân Hãn[1] (promo 1930) aux anciens de l’École Polytechnique [2] pour essayer de sauver Nguyễn Ngọc Bích[3] (promo 1931) arrêté par l’armée française. Il dévoile que Leclerc voulait rencontrer celui-ci.

« Un de nos camarades, Nguyễn Ngọc Bích (promo 1931) , écrivit Hoàng Xuân Hãn, vient d’être arrêté près de Saigon, dans le maquis vietnamien. Beaucoup d’entre vous l’ont connu. Il faut que son amour pour sa patrie soit sublime pour transformer un homme si doux en un combattant tenace. Récemment, le général Leclerc, conseillé sans doute par nos nombreux camarades dans son armée, dans son état-major et dans la plus haute atmosphère du Haut-Commissariat, lui a fait écrire pour l’inviter à venir le voir. Notre camarade lui a répondu de la manière la plus digne et la plus directe. Aucun d’entre nous ne peut le désapprouver quand il pensait qu’il ne pouvait, sans forfaire à son honneur, à l’honneur militaire et à l’honneur d’ancien polytechnicien, se rendre chez le général Leclerc sans ordre de ses supérieurs hiérarchiques. Car il est militaire. Je ne peux pas, sans offenser notre camarade et vous-même, expliquer son cas, qui fait appel à vos sentiments que je sais élevés. Je considère, tout simplement, que mon devoir d’homme, de patriote, d’ancien élève de l’ÉCOLE POLYTECHNIQUE (sic) , est de rappeler à mes camarades, anciens, cocons et conscrits qui sont nombreux en Indochine, la noble pensée de notre estimé professeur Tuffrau, à laquelle j’apporterai la seule modification du mot Annam en Vietnam :Quand vous serez officiers, ingénieurs ou administrateurs dans les colonies, n’oubliez pas qu’il y en est dont l’histoire est aussi belle que la nôtre et dont les hommes ont su défendre leur patrie avec dignité et honneur. Vous vous respecterez vous-même en estimant et en respectant les sentiments patriotiques de leurs habitants. Le Vietnam est de ces pays.”

Hoang Xuan Han (Promo 1930) »


[1] Hoàng Xuân Hãn (1908-1996) était professeur de mathématiques, historien, linguiste (il écrivait et lisait le chinois et le chử nôm vietnamien) et chercheur sur la culture et l’éducation vietnamiennes. C’était également un écrivain dont plusieurs ouvrages furent publiés par les éditions Minh Tân, de Bích, à Paris, tel le Danh từ khoa học (dictionnaire des mots scientifiques). Il avait été reçu en même temps à l’École normale supérieure et à l’École polytechnique en 1930, et choisit d’intégrer la deuxième ; il obtint son agrégation de mathématiques en 1936.

[2]Cette lettre ouverte est mentionnée dans la thèse de doctorat intitulée Formation des élites scientifiques et techniques à l’École polytechnique française aux XIXe et XXe siècles, d’Anousheh Karvar, soumise en 1997 à l’Université Paris VII Denis-Diderot. Cette thèse se trouve dans les archives de l'École polytechnique.

[3] Élu responsable adjoint du Khu IX (Zone IX) Việt Minh, qui couvrait une région importante dans le Sud Vietnam et député de Rạch Giá dans la première Assemblée Nationale de Hồ Chí Minh , Nguyễn Ngọc Bích, diplômé de l'École Polytechnique et l'École Nationale des Ponts et Chaussées devint célèbre après avoir fait sauter les ponts stratégiques de Cái Răng et Nhu Gia, réputés solides et difficiles à faire écrouler, pour retarder l’avancée des armées des généraux Valluy et Nyo, respectivement à Cần Thơ et à Sốc Trăng. On l’appela alors Bác vật phá cầu ou Kỹ sư phá Cầu (le savant, ou l’ingénieur, qui fait sauter les ponts) . Après avoir décliné l'invitation du Parti Communiste à le rejoindre, il reçut l'ordre d'aller au Nord pour consultation. Arrêté dans la maison où il avait rendez-vous avec le guide qui devait l'amener, il fut condamné à être exécuté. Finalement, il fut sauvé par les officiers de l'armée française, anciens de l'Ecole Polytechnique comme lui, qui le libérèrent dans le cadre de l'accord d'échange de prisonniers du 6 mars 1946. Ils lui imposèrent cependant l'exil en France où il fit des études de médecine et enseigna et fit de la recherche à la faculté de médecine de Paris.

En même temps, il fonda avec un groupe d'amis les éditions Minh Tân, dont le siège et le magasin se trouvaient au n° 7 de la rue Guénégaud, à Paris, dans le VIe arrondissement. L’objectif était, d’une part, de favoriser la diffusion d’ouvrages d’intellectuels vietnamiens, et d’autre part, de fournir des livres pouvant aider au développement de la connaissance des Vietnamiens au pays. Ainsi, les éditions Minh Tân publièrent plusieurs œuvres de Hoàng Xuân Hản (1908-1996) , polytechnicien et philosophe : Danh từ khoa học (Vocabulaire scientifique) en 1951 et en 1955, Toán Pháp, lớp nhì va lớp sơ đẳng tiểu học (Mathématiques pour les petits de l’école primaire) en 1953, Chinh phụ ngâm (Poème sur l’histoire d’une épouse) , La sơn phu tử, etc. Également il y a eu des œuvres de Trần Đức Thảo (1917-1993) normalien et philosophe marxiste (Phénoménologie et matérialisme dialectique) , de Đào Duy Anh (1904-1988), historien et chercheur (Hán Việt tự điển, Dictionnaire chinois vietnamisé-vietnamien, et Pháp Việt tự điển, Dictionnaire français-vietnamien) . Etc.

Après l’obtention de son diplôme de docteur en médecine, Bích préféra faire de la recherche et de l’enseignement à la faculté de médecine à Paris (d’abord rue des Saints-Pères, puis rue de l’École-de-Médecine, près de l’Odéon, et enfin à l’hôpital universitaire de la Pitié-Salpêtrière) . À la fin de sa vie, en 1956, il faisait partie de l’équipe du professeur Gougerot, à La Pitié-Salpêtrière.

En 1954, il était le concurrent de Ngô Đình Diệm pour être premier ministre du Sud Việt Nam, mais ne pouvait pas l’emporter car sa position était à l’opposition de celle prônée par les Américains à l’époque : il envisageait des négociations avec le Nord pour une coopération économique avant d’envisager une éventuelle unification pacifique à long terme , alors que les Américains voulaient quelqu’un comme Ngô Đình Diệm qui préférait se battre et arrêter au Vietnam l’expansion du communisme qui s’était développé sur le tiers de la population du monde. Bích faisait partie d’un groupe secret d’intellectuels résidant en France qui partageaient ces idées. Certains l’appelaient le groupe Minh Tân car ils venaient souvent au siège de cette maison d’édition. Leurs noms ne sont pas dévoilés ici car nous n’avons pas l’autorisation de leurs descendants de le faire, le groupe voulant rester discret devant la tournure des évènements à l’époque. En 1961, Bích se présenta avec Nguyễn Văn Thoại, un professeur au Collège de France et ancien ministre de Ngô Đình Diệm comme candidat à la présidence de la République, mais d’après les autorités vietnamienne, son dossier de candidature n’arriva pas à temps pour être considéré comme enregistrable.

4.Poème de Hoàng Xuân Hãn accompagnant Nguyễn Ngọc Bích à l'aéroport pour son retour au Việt Nam (1966)

Poème de Hoàn Xuân Hản en caractères nôm

5.Article de NGUYEN NGOC Bich dans China Quaterly n°9, January-March 1962 (traduction)

Article original en Anglais au https://drive.google.com/file/d/1mx-bjd-k0dLLlMhQ_NvB_OxMCuajf-MO/view?usp=sharing

Viet Nam - Un point de vue indépendant par Nguyễn Ngọc Bích

« Une croyance largement répandue dans le monde occidental, est que les Vietnamiens en général n’aiment pas les Chinois, envers lesquels ils ont un sentiment d’infériorité provenant de la domination du Việt Nam pendant plus de mille ans par leur puissant voisin du nord.

« La vérité est qu’un tel complexe d’infériorité a cessé d’exister de nos jours, s’il avait vraiment existé dans le passé, pour la simple raison que le Việt Nam avait établi son indépendance vis-à-vis de la Chine au Xe siècle et l’avait défendue contre de nombreuses, terribles et coûteuses attaques – par les Song au XIè siècle, les Mongols de Gengis Khan au XIIIe siècle, les Ming au début du XVe siècle, et finalement les Qing au XVIIIe siècle.

« Au contraire, les Vietnamiens avaient tendance à éprouver un peu trop de fierté dans leur histoire, qui englobe, à côté de la résistance vigoureuse contre les attaques chinoises, une expansion territoriale continue vers le sud vers le delta du Mékong, et, plus récemment, après quatre-vingts années de contact avec l’Occident, la grande victoire de Dien Bien Phu. Cependant, cette fierté ne les empêche pas d’avoir constamment conscience du fait que presque sept cent millions de Chinois vivent de l’autre côté de la frontière. De plus, ils savent bien qu’à travers les siècles tous les régimes chinois qui avaient périodiquement unifié ce grand pays avaient montré leur farouche volonté expansionniste au détriment de ses voisins. Qu’on veuille bien l’admettre ou pas, la plus grande question qui se pose aujourd’hui tant pour le Nord que pour le Sud Vietnam est la façon de protéger dès maintenant le futur de toute la nation vietnamienne, menacée par une si importante population et par un si grand dynamisme.

« Au Sud Vietnam, le régime de Saigon semble poursuivre une politique interne d’assimilation forcée des Chinois immigrants et de leurs descendants, et une politique étrangère ignorant complètement l’existence de la Chine continentale.

« Au Nord Vietnam, le gouvernement de Ha Noi, qui est lié à la Chine par une idéologie politique commune et qui est géographiquement plus proche d’elle, semble avoir adopté une attitude plus subtile. Les craintes de la Chine, qui avaient été à plusieurs reprises exprimées en public durant l’époque de Chiang Kai Shek, avaient donné lieu depuis 1949 à des manifestations de solidarité et d’amitié [entre les deux pays]. Ni l’idéologie commune ni les sommes énormes d’aide reçues de la Chine ne peuvent totalement expliquer cela. Seule la géopolitique, qui en elle-même implique une certaine communauté d’intérêt, peut offrir une explication complète et satisfaisante. En fait, la présence des troupes françaises dans le delta du fleuve Rouge constituait une menace que la nouvelle Chine unifiée ne pouvait tolérer longtemps. Effectivement, elle ne l’avait pas toléré longtemps, car ces troupes furent retirées après la bataille de Dien Bien Phu.

« Mais les accords de Genève, qui satisfaisaient une Chine anxieuse de conserver ses énergies, laissèrent les Vietnamiens sur leur faim. Ils étaient obligés d’accepter de faire bon cœur contre mauvaise fortune et d’accepter la paix, mais seulement à la condition de se voir offrir la perspective d’une réunification avec le Sud Vietnam, pacifiquement si possible, sinon par la subversion. Ce n’était pas avant les vagues de mécontentement rural causées par les campagnes de “dénonciation de la misère” et l’échec des réformes agraires, que la question posée par la présence de tant de soldats et civils chinois dans le pays avait été soulevée. À cette époque, le pro-Chinois Truong Chinh n’était plus secrétaire général du parti Lao Dong. Le chant de cygne de la période chinoise était, peut-être, la campagne des Cent Fleurs. Elle conduisit à une période de prudente transition durant laquelle un équilibre était maintenu entre Pékin et Moscou par Ho Chi Minh lui-même, car il n’avait pas hésité à reprendre la direction du parti après le départ de Truong Chinh. L’aide économique chinoise pouvait être encore prépondérante à l’époque, parce que la tâche à laquelle était confronté le gouvernement était celle de remettre l’économie nationale sur pied et d’installer des petites industries de biens de consommation. Cependant, le jour où la Chine confessa elle-même être incapable de réaliser, par exemple, un rapide programme d’industrialisation semi-lourde, un virage vers Moscou devint inévitable. Ce fut le troisième Congrès du parti Lao Dong, à Ha Noi, en septembre 1960, qui accomplit la grande transition et en particulier le programme esquissé par Lê Duan, nommé secrétaire général du parti durant le Congrès, qui proposa les trois thèmes principaux suivants :

- support du point de vue russe dans la querelle sino-soviétique,

- socialisation rapide du Nord Vietnam, par l’exécution du premier Plan quinquennal (1961-1965),

- réunification progressive et pacifique des deux parties du Việt Nam.

« Lê Duan est probablement le dirigeant nord-vietnamien qui a la meilleure connaissance du Sud Vietnam, car, après le départ de Nguyen Son, il y dirigeait lui-même le combat pour l’indépendance pendant une longue période. Sa nomination au poste de Premier secrétaire du parti – il n’y a pas de doute qu’il soit nommé, juste comme Truong Chinh l’avait été dix ans auparavant, car la source de toute autorité est Ho Chi Minh, et cela l’avait toujours été – indique que les Vietnamiens communistes ont décidé que le moment est venu pour le Nord d’entreprendre la reconquête du Sud et d’accomplir cela à partir de l’intérieur du Sud Vietnam. Elle symbolise l’intention d’exercer un grand effort sur le domaine beaucoup mieux connu de Lê Duan, nommément le Sud Vietnam, que sur les domaines de la polémique idéologique avec Mao Tse Tung ou de l’établissement d’usines de machines-outils dans la banlieue de Ha Noi. L’objectif final est la réunification des deux parties du Việt Nam, et la première étape sera l’élimination du régime de Ngo Dinh Diem, ainsi que de toute influence américaine sur le Sud Vietnam. Cependant, il y a des raisons de penser que des motifs plus profonds existent, qui sont liés de près au deux premiers thèmes développés au Congrès du parti Lao Dong. Il est essentiel de comprendre ces motifs.

« La caractéristique la plus frappante de la direction communiste vietnamienne est son remarquable esprit de réalisme, voire son pragmatisme. Bien qu’elle soit attachée à la doctrine communiste, généralement parlant, elle n’acceptera pas simplement des idées préconçues. Pour beaucoup de Vietnamiens communistes, la pratique du marxisme comprend rien de plus qu’un examen et une évaluation continuels des faits. Tout ce qui arrive et toute action doivent faire l’objet d’une réflexion critique, d’où une leçon doit être tirée. Le but de cette réflexion est plus d’éviter la répétition des fautes passées que de produire un guide sûr des futures actions. Cependant, cette pratique débouche assez souvent sur un manque d’imagination dans le planning des futures actions, car on est volontiers plus enclin à répéter les actions passées, quand elles ont été considérées comme fructueuses, au lieu de faire face à une nouvelle situation avec un esprit totalement ouvert et de dresser des plans pour cette situation spécifique. C’est pourquoi l’on avait souvent reproché aux Vietnamiens communistes, bien que parfois injustement, d’être naturellement plus enclins à imiter ou à répéter qu’à créer quelque chose de nouveau par eux-mêmes.

« D’abondants exemples de cette façon de penser et d’agir existent. Comme celui de la bataille de Vinh Yen quand, sur le conseil des tacticiens chinois, qui étaient habitués à disposer d’un nombre important de troupes, le Viet Minh décida de lancer des attaques massives. Le général de Lattre de Tassigny put ainsi utiliser du napalm à grande échelle, entraînant des effets dévastateurs sur les soldats vietnamiens. Cependant, à partir de ce moment et jusqu’à la fin de la guerre, de telles attaques de masse ne furent plus répétées. Aussi, la fabrication des armes fut ralentie à une certaine période et remplacée par la fabrication des grenades offensives à main. La raison de ce changement était que quelqu’un avait fait remarquer qu’il était plus “économique” de monter des attaques à la grenade contre de légers bataillons ennemis et de prendre leurs armes que de fabriquer celles-ci, fabrication occupant une main-d’œuvre importante et occasionnant des difficultés de transport dans les régions à l’arrière. Dans un autre domaine, le Viet Minh un jour découragea l’élevage des cochons tant que durerait la guerre, et il encouragea de celui des chiens comme source de viande, car les chiens sont plus “économiques”. Les chiens sont aussi gourmands et omnivores que les cochons, sinon plus, mais quelqu’un avait remarqué que les chiens produisent deux portées de petits chaque année, alors que les cochons n’en produisent qu’une.

« Le pragmatisme tend à tirer les dirigeants du Nord Vietnam hors du dogmatisme et fait rendre les thèses de Moscou plus acceptables pour eux que celles de Pékin. Il les amène à la conclusion qu’une rapide industrialisation du pays, qui permettra d’élever le niveau de vie, peut probablement justifier aux yeux du peuple la dictature et toutes les contraintes imposées par le Parti. En conséquence, toute autre chose doit être subordonnée à cette rapide industrialisation du pays, parce que la croissance du pouvoir et du prestige du pays, qui sera inévitablement engrangée comme le résultat de la nouvelle industrie, enlèvera plus sûrement qu’autre chose le spectre redouté de devenir un simple état satellite.

« Jusqu’à quel degré une telle industrialisation peut-elle être achevée rapidement ? Au premier coup d’œil, les objectifs qui ont été énoncés avec force détails dans le plan quinquennal apparaissent extrêmement optimistes. Mais on doit se rappeler que la vieille Indochine française avait elle-même accompli parfois de “grands bonds en avant” dans certains secteurs de l’économie. La surface consacrée aux plantations d’hévéas passa de 3.000 hectares à 12.000 hectares entre 1924 et 1929, une augmentation de 400 pour cent en l’espace de cinq ans. De même, entre 1914 et 1929, le nombre de travailleurs dans les établissements industriels grimpa de 55.000 à 140.000, ce qui représentait une augmentation totale de 150 pour cent, ou une croissance moyenne annuelle de 17 pour cent, et cela malgré la Première Guerre mondiale, qui occupa quatre années de cette période. À la date d’aujourd’hui, le Nord Vietnam dispose d’abondantes ressources humaines, car le chômage est élevé, en particulier dans la campagne, et la densité de la population dans le delta du fleuve Rouge est parmi les plus élevées du monde. Les deux hauts fourneaux, la cimenterie, la fabrique de machines-outils, l’usine des tracteurs, et les autres projets inscrits dans le plan peuvent être facilement complétés dans le temps spécifié, à condition que le rythme actuel d’aide étrangère soit maintenu et que la production agricole soit adéquate. Mais le seront-ils ?

« La croissance envisagée dans la production agricole, 61 pour cent en cinq ans, apparaît modeste en comparaison de celle proposée pour l’industrie, mais il y a de bonnes raisons de penser qu’elle ne sera pas atteinte. Il y a plusieurs motifs, le plus important étant les rendements bas dus aux méthodes encore archaïques de culture, mais aussi le produit du vieux système de sous-location des terres, la difficulté d’avoir de nouvelles terres dans les régions cultivées, le mécontentement général des paysans, et la désastreuse réforme agraire et ses conséquences. La forte progressiveté dans l’échelle glissante des taxes sur la production des grains décourage les fermiers, ainsi que les désagréments du système de contrôle multiple imposé par une bureaucratie à structure dirigeante trop lourde et une police trop nombreuse. La production agricole de 1960 était plus d’un million de tonnes au-dessous des chiffres estimés, et les produits agricoles secondaires ne pouvaient pas toujours compenser le déficit en céréales. La famine est devenue endémique, et il est très improbable que la Chine, qui a vécu elle-même trois années successives de mauvaises récoltes, puisse venir à la rescousse de son voisin du sud, en particulier aujourd’hui. Il ne reste que la contrebande de riz du Sud Vietnam, qui est estimée à 400.000 tonnes par an, bien qu’on se demande sur quelle base une telle estimation peut être faite.

« Par conséquent, en analyse finale, le succès du plan quinquenal va dépendre du problème de l’alimentation de la population du Nord Vietnam, un problème qui ne peut pas être facilement résolu sans une augmentation de fourniture de riz du Sud Vietnam. En effet, le taux annuel de croissance de la production agricole, qui devrait atteindre 7 pour cent, ne sera en réalité probablement pas plus de 4 pour cent, alors que la population, si l’augmentation annuelle de celle-ci est approximativement la même que celle du Sud Vietnam aujourd’hui, augmentera de 3 pour cent. De plus, la collectivisation proposée de l’agriculture rend impossible de prévoir si un tel chiffre peut être atteint. Si l’on tient compte de tous les facteurs imprévisibles en agriculture, inondations, sécheresses, mauvais temps, etc., et qu’on y ajoute les spécificités propres au Nord Vietnam, le programme d’industrialisation, et la socialisation de l’agriculture, il semblerait que la République démocratique du Việt Nam risque d’être en grave risque d’échec en raison du manque de nourriture pour alimenter la population. La thèse que l’industrie doit avoir la priorité sur l’agriculture risque de se retrouver erronée dans la pratique, avec pour résultat que ceux qui l’ont préconisée seront discrédités.

« En conséquence, les tenants d’une politique de “coexistence pacifique” avec l’Ouest – qui soutiennent aussi le présent programme économique – risquent de se voir réduits à une minorité par les partisans d’une “nécessaire et inévitable guerre”. Quand cela arrivera, l’amitié avec la Russie sera nécessairement remplacée par une alliance avec la Chine. Le danger sera alors très grand que l’indépendance, relative mais néanmoins réelle, dont jouit la RDV aujourd’hui, disparaîtra et que la RDV deviendra un simple satellite de la Chine. Ainsi, le succès du Plan quinquennal apparaîtrait comme une condition première, non seulement pour maintenir la ligne actuelle du parti Lao Dong, mais aussi pour préserver dans une certaine mesure l’indépendance de tout le Việt Nam vis-à-vis de la Chine, car la "satellisation" du Nord constituerait la menace la plus sérieuse pour le Sud, en particulier en période de crise majeure.

« La tâche confiée au nouveau secrétaire général du parti Lao Dong est d’assurer le succès de la ligne présente. Vue de cette façon, la guerre de subversion qui a déjà été déclarée clairement contre Ngo Dinh Diem et les USA pourrait être comprise comme un combat déclenché dans le but d’obtenir du riz. Les sentiments nationalistes exprimés sans cesse par la propagande du Nord, les appels sentimentaux à la réunification des deux moitiés de la nation – faits par des personnes qui, en raison de l’idéologie qu’ils ont adoptée, dénieraient le concept de nation – n’emportent aucune conviction. Ils ne soulèvent pas un très profond écho dans la population du Sud Vietnam, car les Sudistes sont en train de souffrir de cette guerre subversive à laquelle ils n’ont pas contribué. En fait, la subversion a été rendue possible plus comme réaction contre le régime Diem que par quelque amour du communisme ou parce qu’il y a une vision quelconque d’une unité nationale dans le futur. C’est à cause des énormes bénéfices économiques qui reviendront au Nord grâce à une réunification nationale que la RDV fait si vigoureusement campagne en sa faveur. Si ce n’était pas le cas, la RDV aurait adopté une attitude séparatiste analogue à celle de l’Allemagne de l’Est en Europe. Aucune dialectique, même marxiste, n’aurait pu soutenir une théorie en Europe et son exact contraire en Asie.

« Cependant, c’est précisément parce que le Nord Vietnam combat pour se procurer du riz que la guerre, d’un point de vue purement national, est une guerre légitime. Pour des patriotes auto-proclamés comme Ngo Dinh Diem, qui sont motivés plus par leur haine du communisme que par une réelle compassion pour le sort de leurs compatriotes du Nord, il est absurde de refuser d’aider leurs compatriotes dans leur lutte contre la famine. En refusant leur aide à ce qui constitue, après tout, une partie de leur pays, ils affaiblissent nécessairement le pays tout entier et même les idéaux qu’ils proclament vouloir défendre. Ils ont aussi oublié l’histoire de la nation vietnamienne, qui a connu, même sous les Trinh et les Nguyen, des périodes de prospérité chaque fois que la rivalité entre ces deux familles a été reléguée à l’arrière-plan.

« Tout ceci n’implique nullement que l’adhésion du Sud-Việt Nam au monde libre doive être remise en question ni ne suggère que, pour la raison déjà évoquée, il doive faire des concessions au communisme. Le peuple vietnamien a depuis si longtemps aspiré à une forme libérale et véritablement démocratique de gouvernement et ils ont donné trop de preuves de leur attachement aux libertés individuelles pour que quelqu’un puisse maintenir pour un temps appréciable, même en employant la force brute, un joug que le peuple abhorre. Ils ne veulent pas plus du chef de district – qui les force, au nom d’un quelconque “isme”, à travailler le jour sur les routes dans des équipes de travaux forcés – que du cadre qui, au nom d’un “isme” différent, les force à détruire la nuit ce qu’ils doivent réparer le lendemain. Ils exigent simplement qu’on ne les tourmente pas et qu’on les laisse en paix. Ils désirent que l’armée, qui est formée d’une partie de la population elle-même, les protège de toute violence d’où qu’elle vienne et impose à la campagne et dans les villes du Việt Nam le respect de la personne humaine et des lois du pays.

« Mais, ceci étant dit, on doit affirmer que ce serait une grave erreur pour le Sud Vietnam de laisser perdurer indéfiniment cette guerre de subversion et de permettre ainsi au Nord Vietnam de transformer ce qui était au départ une guerre pour du riz en une guerre faite pour le compte de Moscou. L’introduction d’un régime libéral à Saigon pourrait assainir l’air, permettre d’établir des relations commerciales avec Ha Noi et d’instaurer une trêve dans les combats. Quant aux affaires étrangères, les exigences de neutralité interdiraient toute interférence de la RDV dans les affaires du Sud Vietnam, lequel serait souverain dans la décision de suivre une politique plus véritablement indépendante et nationale tout en maintenant de bonnes relations avec ses voisins et tous les pays du monde libre.

« Une réunification pacifique et progressive du Việt Nam ne pourrait être réalisée que de manière pacifique et progressive, c’est-à-dire sans utilisation d’aucune force armée mais en réunissant les deux parties autour d’une table. Avant de mettre les armes de côté, il ne saurait être question de réunification pacifique. En attendant que cela arrive un jour futur, quand les circonstances le permettront, le Sud Vietnam espère que les deux moitiés pourront vivre en paix l’une à côté de l’autre, s’aider l’une l’autre dans la tâche commune de bâtir la nation vietnamienne, au lieu d’utiliser les armes l’une contre l’autre dans un combat idéologique dans lequel le peuple ne joue aucun rôle et qui persistera aussi longtemps que le monde restera divisé en deux blocs mutuellement hostiles. En agissant autrement, le concept de “réunification pacifique” deviendra seulement un thème de propagande destiné à dissimuler une volonté problématique de conquête. »