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Le caodaïsme apparu au Việt Nam dans les années 1920 a fait l’objet de plusieurs études par des historiens et anthropologues étrangers. Mais son éclatement très tôt en de nombreuses branches, ses documents écrits avec utilisation à profusion du chử Nho (Chinois vietnamisé) et le secret de la pratique de son ésotérisme ont été des barrages pour une vraie compréhension de cette nouvelle religion.

La plupart des textes des chercheurs étrangers s’est concentrée sur le caodaïsme de la branche Tây Ninh, la seule à avoir possédé une armée et à s’être impliquée dans la guerre d’indépendance contre le colonisateur français et celle contre les communistes vietnamiens. Ce caodaïsme est devenu sous la plume de beaucoup « le » caodaïsme. Alors qu’existent toujours beaucoup d’autres branches et organisations dont les activités ont toujours été purement religieuses et les fondamentaux sont ce qui a été révélé durant les premières années de la naissance de cette religion, loin du panthéon des « saints » vénérés uniquement à Tây Ninh : Victor Hugo, Nguyễn Bỉnh Khiêm, Sun Yat Sen,…

 Cet article est le fruit des recherches d’un caodaïste issu d’une famille de caodaïstes, donc baigné dans cette religion depuis son enfance.

Elle a pour objectif de faire mieux connaitre le caodaïsme, le faire sortir des interprétations qui sont loin de la réalité. Sont exposés ici la spiritualité, l’organisation, l’histoire de cette religion.

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Depuis l'aube des temps, l'Homme a cherché à ne pas se sentir abandonné en se donnant des explications aux phénomènes de la nature qui règlent sa vie. Il leur attribue une forme et un nom, puis il les divinise et les adore. C'est ainsi que des dieux ont été créés, sous forme des éléments de la création, le tonnerre, la pluie, etc., puis des animaux, et même, des entités mi-animales mi-humaines, puis humaines.

Pour finir, la conception monothéiste d'un Dieu unique a pris le pas au Moyen-Orient avec Abraham, ancêtre autant de Moïse, dans le judaïsme, que de Jésus, dans le Christianisme, et de Mahomet dans l'islam. Ces trois religions vénèrent le même Dieu, au nom ineffable et qui ne peut que s'épeler Yod-Hé-Waw-Hé chez les juifs, Dieu chez les chrétiens, et Allah chez les musulmans. Ses adeptes vivent leur foi en Lui, le Tout-Puissant, le Créateur, et mènent leur vie à sa Gloire, jusqu'à se faire la guerre entre eux. Car l'histoire est longue, des tueries et des mauvais agissements au nom de Dieu, dus à l'extrémisme, à l'intolérance, à l'ambition des Hommes.

I. NAISSANCE DU CAODAÏSME

Les trois amnisties

Pour les Caodaïstes, par deux fois déjà, le Tout-Puissant avait voulu ramener l'homme vers la bonne voie, celle de la sagesse et du bonheur. La première amnistie se rapporte au temps de l'avènement du judaïsme (Moïse, mais n'était-ce pas plutôt Abraham ?) en Occident et des protos Confucianisme (Empereur Phuc Hi), Taoïsme (Thái Thượng Đạo Quân) et Bouddhisme (Nhiên Đăng Cổ Phật, le Bouddha Ancien) en Orient, et la deuxième amnistie, à celui du Christianisme (Jésus-Christ) et de l'islam (Mahomet) en Occident, et à celui du Confucianisme (Khong Phu Tseu), du Taoïsme ( Lao Tseu ) et du Bouddhisme (Sakya Mouni) en Orient.

Pour cette troisième amnistie, il ne voulait plus passer par des intermédiaires comme il l'avait fait auparavant. Il s'était révélé directement à l'Homme par le biais de l'évocation des esprits, une pratique autant de l'Orient depuis longtemps que de l'Occident. Sous l'appellation de Cao Đài Tiên Ông Đại Bồ Tát Ma Ha Tát[1], il se posa en Thầy (Maître) venu enseigner à l'Homme, qu'il appela Con (enfant), en s'exprimant à travers le spiritisme, la route vers sa “délivrance”, la Grande Voie Universelle qui pourrait concilier toutes les croyances.

Le premier Caodaïste

Celui qui est considéré comme le premier Caodaïste est Monsieur Ngô Văn Chiêu (1878-1932), un fonctionnaire passé par le collège de Mỷ Tho en qualité de boursier et ayant obtenu de nombreux diplômes d'études “franco-indigènes”. Il pratiquait depuis de nombreuses années le Taoïsme et s'adonnait à l'évocation des esprits supérieurs (Cầu Tiên) depuis 1902 quand, au cours d'une séance à Thủ Dầu Môt, il fut interpellé par un esprit qui lui recommanda de persévérer dans la voie qu'il s'était tracée.

En 1920, Ngô Văn Chiêu était à Phú Quốc, où il était quận trưởng (chef de district), responsable de l'administration de l'île. Parmi les esprits avec lesquels il correspondait en compagnie d'une petite équipe de jeunes médiums, dont le petit Lê Ngưng âgé de 8 ans, il s'en trouvait un en particulier qui se donna comme nom “Cao Đài Tiên Ông” ( Cao Đài l’Immortel Taoïste) et qu'il avait déjà rencontré en 1919 avec un ami lors d'une séance à Tân An. Les enseignements reçus étaient d'une grande sagesse, et poussèrent Monsieur Chiêu à demander la permission de le vénérer. Il l'interrogea aussi sur la forme sous laquelle il pourrait le faire. Il ne reçut pas de réponse, mais, quelques jours plus tard, il vit par deux fois un œil gauche resplendissant devant lui. Le Thiên Nhãn, l'Œil divin, fut ainsi adopté et vénéré depuis ce temps dans tous les temples Caodaïstes.


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[1]  Il y a 12 mots dans l'invocation complète dans les prières "Nam Mô Cao Đài Tiên Ông Đại Bồ Tát Ma Ha Tát", 12 est un nombre divin. Cao Đài veut dire Palais Suprême et réfère au Tout-Puissant, Tiên Ông à l’ Immortel Taoïste et Đại Bồ Tá Ma Ha Tát à Bouddha.  

2. Un possible choix autre que celui de Ngô Đình Diệm en 1954

3.Les Hòa Hảo

4.Pourquoi y a-t-il eu des Vietnamiens Francs-maçons durant le temps de l'Indochine

( Extraits de "Chroniques secrètes d'Indochine (1928-1946)", Tome I Le Gabaon, de Gilbert Davis, éditions L'Harmattan)

5.Histoire d'eau (Avril 1999)

    Parce que l'eau est indispensable à la vie, les hommes de toutes les traditions et de tous les temps l'ont vénérée en l'incluant dans leurs croyances.


L'eau et les diverses croyances

Pour les anciens Mésopotamiens, l'eau est à l'origine de l'univers. Pour les Egyptiens, le monde a surgi de l'eau à la création, comme la terre d'Egypte émerge chaque année lorsque se retire l'inondation du Nil.  

Source de Vie, l'eau est aussi symbole de fertilité et de fécondité. Ainsi la pluie et la neige descendent des cieux abreuvent la terre, la fécondent et font germer pour donner le pain à celui qui mange avant d’y retourner ( livre d'Isaïe (LV, 1-11)).

 L'eau vive est une image qui revient souvent dans l'Ancien et le Nouveau Testament. Ainsi Moïse, sur l'ordre de Dieu fit jaillir une source pour abreuver les Hébreux dans le désert en frappant son bâton le rocher du Mont Horeb. Jésus dit à la Samaritaine: "Qui boira de l'eau que je lui donnerai, n'aura plus jamais soif: cette eau deviendra en lui source d'eau jaillissant en vie Eternelle" ( Jean, IV, 14). D'une manière générale, la source d'eau vive des Chrétiens ou Fontaine de Vie symbolise les Evangiles qui représentent la Vie éternelle.

L'eau est aussi considérée comme un moyen de purification rituelle. En Egypte, au moins à la basse époque, les prêtres se lavaient dans un lac sacré avant l'aurore, se purifiant ainsi le corps, puis faisaient le tour du temple versant l'eau et faisant brûler l'encens. Au moment où se levait le soleil, la statue du dieu était déshabillée et lavée avant d'être de nouveau parée. Pour les Hébreux l'eau purifie les impurs et pour l'Islam l'eau est symbole de pureté: le fidèle doit procéder aux ablutions rituelles avant chacune des cinq prières quotidiennes.

Dans les pays arides, l'eau est sacrée et est associée à la religion: ainsi le Dieu de la pluie est un des plus grands dieux au Mexique précolombien. Les sources d'eau ont aussi été l'objet de culte depuis les temps les plus reculés. Des rivières, des fleuves ont été divinisés, comme le Nil par les Egyptiens, et le Tigre et l'Euphrate par les Babyloniens.

 L'eau est aussi symbole de la renaissance et de la régénérescence Dans l'Inde Brahmanique, lors de la cérémonie du mariage, le mari reverse dans les mains de l'épouse, l'eau qu'un brahmane a versée dans les siennes. Un rite identique est observé par le maître à l'égard de l'élève lors de l'initiation de celui-ci. Pour ce dernier, c'est une seconde naissance, la naissance à la société.

L'eau est utilisée chez les chrétiens dans le baptême qui, à l'origine, était une cérémonie initiatique précédée d'une longue préparation, le catéchuménat. Etre baptisé, c'est s'engager envers Dieu avec une conscience droite (I Pierre III, 18-22). Le déluge dans lequel l'humanité disparaît à cause de ses péchés est comparable au baptême comportant une immersion de l'eau à travers laquelle l'homme meurt symboliquement et, grâce à l'Esprit Saint, renaît pûrifié, renouvelé.

Dans toutes les traditions, l'eau est aussi admise comme un des éléments fondamentaux de la Nature. Pour les alchimistes occidentaux, ceux-ci sont au nombre de quatre avec, si l'on part du plus grossier au plus subtil, Terre, Eau, Feu et Air et parfois cinq en ajoutant l'Ether. Dans le monde chinois, ils sont au nombre de cinq: l'Eau, le Bois, le Feu, le Métal et la Terre.

L'eau et les Taoistes

Un peu plus loin, dans la culture qui a imprégné les traditions asiatiques, chez les Taoistes, l'eau est le symbole de la Sagesse:

- De façon naturelle, l'eau ne reste pas sur les sommets et préfère se mettre au niveau le plus bas. Le Sage ne cherche pas à tout prix à atteindre les niveaux les plus élevés ou à se montrer à la lumière au devant de la scène. Car il aura à s'user à se battre pour y arriver et pour s'y maintenir, le plus souvent pour des rêves illusoires. En restant dans l'anonymat, au niveau le plus reculé, il n'intéresse personne et peut donc mener une vie tranquille et sereine.

- On ne peut pas saisir l'eau avec la main, mais l'eau peut se mettre dans n'importe quel contenant. Le Sage est, comme l'eau, incontrôlable, insaisissable, et non manipulable par autrui, tout en sachant s'adapter à tout environnement.

- L'eau est fluide, elle n'est pas dure au toucher. On peut essayer de la frapper, de la broyer, de l'écraser, elle se laisse faire, elle n'est pas touchée. Mais avec le temps, elle peut éroder le roc le plus dur. La Sagesse n'est pas toujours visible, on ne la sent pas toujours. Mais avec le temps, ce qu'elle exprime est si juste, si vrai, qu'elle peut faire changer le monde.


- L'eau ne peut pas être détruite, elle existe toujours. En chauffant l'eau liquide, on ne peut que la faire passer à l'état de vapeur. En abaissant sa température, on ne peut que la changer en glace qui est de l'eau solide. C'est ainsi aussi de la Sagesse qui est une Vérité éternelle.

- Quand on voit que l'eau d'une mare est noire, on croit que c'est l'eau qui est sale, qui est à l'origine de cette couleur. En réalité, la couleur noire vient des suspensions de boue et des saletés, les gouttelettes d'eau restant toujours propres et pures. Le Sage reste toujours pur quel que soit l'environnement dans lequel il se trouve.

- L'eau est nécessaire à l'homme pour subsister, sans eau, il meurt. La Sagesse est aussi nécessaire à l'homme pour sa vie de tous les jours. Sans une certaine Sagesse dans ses actions, que deviendra l'homme ? 

- Enfin, on peut se demander comment faire pour acquérir la Sagesse. Faut-il avoir un maître, un gourou pour nous l'enseigner ? En fait la Sagesse est déjà en nous,  comme l'eau qui constitue naturellement la majeure partie de notre corps. Il suffit pour chacun de nous de savoir la découvrir...

L'eau, à l'origine de la Vie

Tout cela est certainement très beau, nous dirons-nous, mais l'eau mérite t'elle vraiment cette grande vénération de toutes les traditions?

En fait, l'eau est à l'origine même de notre existence, de la Vie telle que nous la voyons autour de nous.

Le Soleil et ses planètes, dont la Terre, sont apparus, il y a quatre milliards et demi d'années.  A leur naissance les grandes planètes sont des boules incandescentes dont la chaleur se dissipe avec le temps, comme ce qui s'est passé avec la Lune et Mercure qui l'a perdue, il y a quelques centaines de millions d'années. Dans les satellites de Jupiter et de Saturne, la température est très basse et l'eau s'y trouve sous forme de glace. Dans l'atmosphère de Vénus, plus proche du Soleil, l'eau existe sous forme de vapeur. Seule la Terre possède de l'eau sous forme liquide, parce que son champ de gravité est suffisant pour retenir les molécules d'eau à sa surface et que sa distance au Soleil lui permet de la maintenir partiellement liquide.

Grâce à cette nappe aquatique, le gaz carbonique de l'atmosphère initiale a pu se dissoudre et se déposer au fond des océans sous forme de carbonates. Une intense chimie a pu ainsi se mettre en oeuvre. Par rencontres et associations, des structures moléculaires de plus en plus importantes se sont donc formées. Les molécules vont s'organiser en macromolécules, les macromolécules en cellules, et les cellules en organismes. Cela grâce au carbone qui possède quatre crochets qui lui permettent de jouer le rôle de charnière entre de nombreux atomes. Car les molécules du vivant sont des assemblages d'atomes de carbones avec des atomes d'oxygène, d'hydrogènes, d'azote, de phosphore et de soufre qui tombent en pluie de l'atmosphère dans l'océan où ils se trouvent protégés.

Toute cette chimie continue pendant des milliards d'années avec création et évolution des structures stables et disparitions des formations instables, un long tâtonnement avec réussites et échecs.

Moins d'un milliard d'années après la naissance de la Terre, l'océan foisonnera d'organismes vivants. Près de quatre milliards d'années encore, c'est à dire il y a huit millions d'années, les premiers pré-humains, pas encore hommes, plus vraiment singes, mais debout sur leurs pattes de derrière apparurent  en Afrique orientale. Plus de quatorze milliards d'années sont passées depuis le Big Bang, commencement de l'existence de l'Univers.

Sans l'existence de l'eau liquide, il n'y aurait pas eu de vie sur Terre...

Encore plus loin...

    Si l'eau a permis la création de la Vie sur Terre, on peut imaginer qu'un processus similaire existe dans toutes les galaxies de l'Univers et que de nombreuses formes de Vie y cohabitent aussi. Car le Système Solaire auquel fait partie notre Terre appartient à une galaxie, la Voie Lactée qui est composée de centaines de millions d'étoiles comme le Soleil. La Voie Lactée fait elle-même partie d'un petit amas local, formé d'une vingtaine d'autres galaxies, lui-même intégré à un amas plus grand regroupant plusieurs milliers de galaxies, celui de la Vierge. Et l'Univers lui-même est formé de beaucoup, beaucoup d'amas de galaxies comme la Vierge.


Dans ces galaxies, dans les planètes de ces galaxies, l'eau liquide, lorsqu'elle existe, pourrait très bien donner naissance à des formes de vie, comme ce qui s'est passé sur la Terre. Et les peuples issus de ces formes de vie pourraient très bien aussi vénérer l'eau, tout comme le font les humains de tous les temps de notre bonne vieille planète...

6. La régionalisation de la Cochinchine et le régionalisme vietnamien

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Le sujet de la régionalisation en Indochine évoqué par certains historiens est intéressant et mérite qu’on y consacre du temps. Pour le comprendre, il faut aussi considérer le régionalisme très important qui a toujours existé au Việt Nam.


1.   La division du Việt Nam en trois régions par les Français

Pierre Brocheux a présenté un écrit qui démontrerait pourquoi les Français ont divisé le Việt Nam en trois kỳ, la Cochinchine (le Sud), l’Annam (le Centre) et le Tonkin (le Nord).

Mon livre en parle et le cite[1] :

« Dans son livre Histoire du Vietnam contemporain, la nation résiliente, Ed. Fayard, le professeur Pierre Brocheux explique les possibles raisons de la division du Việt Nam en trois entités. Il cite l’extrait suivant de “Note sur la répartition de nos forces militaires en Indochineˮ du 15 juillet 1885 de Jules Harmand, dans “Mémoires et Documents Asieˮ, T.57, p. 112-115. J. Harmand (1845-1921) était médecin de la marine, explorateur (mission Francis Garnier) et diplomate (commissaire de France aux Việt Nam, Laos Cambodge) :

« Nous ne devons pas oublier que la nation annamite, d'une homogénéité sans exemple dans toute l'Asie, compose une unité positivement redoutable pour un conquérant très éloigné de sa base d'opérations, un peuple dont l'histoire, depuis les temps les plus lointains jusqu'à nos jours, le fait apparaître à l'observateur comme possédant au plus haut degré l'esprit de patriotisme, ou plus exactement le sens de la race, et qu'il serait très dangereux pour nous de le voir se réunir tout entier dans une haine commune dont nous serions l'objet […] . Qu'on soit donc convaincu d'une chose, c'est qu'il n'y a, pour ainsi dire, qu'un seul Annamite depuis le Kouang-Si jusqu'aux frontières du Cambodge et du Siam, que tous les Annamites ont les mêmes idées, les mêmes mœurs, les mêmes aspirations, les mêmes rancunes, la même organisation comme ils ont la même langue et les mêmes lois ; qu'il y a moins d'antagonisme réel entre les Annamites du Tonkin et leurs frères du Sud qu'il y en a chez nous entre un Breton et un Provençal et qu'il n'existe pas en particulier un seul “Tonkinois” qui désire voir ses mandarins “annamites” remplacés par des chefs français […] . Il n'est pas en Annam un seul lettré et même un seul enfant à l'école, un seul homme du peuple qui ne connaisse les noms et les hauts faits, devenus légendaires, des rois et des chefs de bande qui ont levé, pendant des siècles, l'étendard de la révolte contre les envahisseurs chinois et ont réussi enfin à les chasser […]

C'est pour ces raisons que nous devrions scinder l'Annam en plusieurs tronçons […], disloquer la cohésion de l'Annam, le découper, pour ainsi dire, en une série de segments ou de tronçons, sans qu'il ne puisse jamais réunir toutes ces forces contre nous » .

2. Ce que visaient tous les patriotes vietnamiens

La lutte pour l’indépendance avait pour objectif de libérer du colonialisme tout le territoire vietnamien et non seulement une partie. La longue histoire du Viet Nam et de ses combats contre la Chine l’a largement démontré. Les insurrections étaient dans toutes les régions. Cependant les Vietnamiens n’avaient pas les moyens de se battre efficacement contre les Français. Ils étaient divisés et ne pouvaient pas constituer une force devant la puissance armée de la France et ses moyens de répression. Jusqu’au renforcement des troupes du Việt Minh en 1947, ils ne pouvaient pas l’affronter militairement de front avec un espoir de la vaincre.

La tactique menée naturellement était alors de passer par des étapes intermédiaires.

Des archives contenant des informations sur cette idée de passer, s’il le fallait, par des étapes intermédiaires avant l’indépendance totale, ne doivent pas être très courantes. Les personnes politiques vietnamiennes impliquées qui s’ouvriraient le cœur auprès des gens susceptibles de le rapporter aux autorités coloniales qui l’inscriraient dans leurs écrits pour alimenter les archives (et… contenter les historiens) ne devaient pas courir les rues. Des faits qui démontrent l’existence d’une telle tactique ne sont pas rares cependant.

On l’a vu avec Bao Dai et les nationalistes. Avec ceux-ci, Bao Dai accepta que le Việt Nam entier, le Sud inclus, devienne un État associé de l’Union française. C’était une étape avant d’aller plus loin. Et il alla plus loin. Il réclama qu’une indépendance complète soit accordée au pays. Et c’est ce qui arriva avec les traités signés le 4 juin 1954.

On l’a vu avec Bùi Quang Chiêu qui préconisait une collaboration avec les Français sur la base d’une égalité à tous les points de vue entre Vietnamiens et Français. Il écrivit en 1923 : « Certains préconisent obtenir l'indépendance par les armes. Je préfère l'avoir par la culture ». Et les Français n’étaient pas dupes. Une note de la direction des Affaires politiques du ministère des Colonies disait : « Ils veulent actuellement, mettant à profit notre concours, préparer leur pays à conquérir son indépendance, et le loyalisme qu’ils affectent à notre égard ne doit pas survivre à l’expiration de cette période transitoire. »

On l’a vu avec la famille impériale du temps du Gouverneur Général de l’Indochine Paul Vert : c’était  à son arrivée en 1886 dans son nouveau poste que la grande reine mère lui proposa sans succès la cession pleine et entière du Tonkin contre le retour de la plus large autonomie pour l’Annam. Il valait mieux passer par une étape de récupération d’un morceau de territoire que de tout perdre. Pour l’avenir, on verra.

3. Cas de la République Autonome de Cochinchine

Le 1er juin 1946, naquit la République Autonome de Cochinchine, sur décision des Français, devant la cathédrale de Sài Gòn où se trouvait, selon Philippe de Villiers, une foule aux deux tiers française. La colonie Cochinchine devait devenir un État associé dans le cadre de l’Union Française qui devait en comporter cinq, la Cochinchine, le Tonkin, l’Annam, le Cambodge et le Laos.

Le Président choisi par les colonisateurs était le docteur Nguyễn Văn Thinh (1888-1946), qui créa en 1937 à Sài Gòn avec Trần Văn Đôn, le père du futur général Trần văn Đôn, le Dân Chủ An Nam Đảng (Parti Démocratique Annamite)[2] dissous en 1939[3]. Il faisait partie des organisateurs des funérailles de Phan Châu Trinh en 1926 avant de devenir membre du Parti Constitutionaliste de Bùi Quang Chiêu[4].

Nguyễn Văn Thinh se suicida par pendaison le 10 novembre 1946 cinq mois après sa nomination. Pourquoi ce suicide ? Parce qu’il s’était senti n’être qu’un pion des Français qui ne lui donnèrent aucun moyen pour faire tourner son gouvernement, ou parce qu’il avait perdu toute respectabilité vis-à-vis de la population – dont de Cochinchine - qui le considérait alors comme un traître? Les Français comptaient-ils plus que les Vietnamiens pour ce chef de parti ou c’était l’inverse? Son suicide n’était-il pas le signe qu’il ne pouvait pas accepter d’être devenu plus rien vis à vis de ses compatriotes?

Même si c’était un citoyen marié à une Française et naturalisé Français par la grace des colonisateurs, son objectif ne devait certainement pas être différent de celui de la famille impériale sous Paul Bert. Mais pouvait-il se confier aux autorités coloniales que l’autonomie de la Cochinchine séparée des deux autres parties du pays qu’il avait acceptée était seulement une étape avant d’aller plus loin, pour que cela soit inscrit dans les archives et découvert par des historiens dans le futur ? En réalité, il l’avait dit à des intimes.

« Thinh avait admis jouer ce jeu-là précisément pour avoir ne serait-ce qu’un pied dans le pouvoir local et arracher progressivement une autonomie totale, après quoi, il aurait «marché» avec les nationalistes du Centre et du Nord du Vietnam, pour arriver à un Vietnam indépendant réunifié mais sans les communistes. C’est ce message–là que Thinh demanda au lieutenant Trần Văn Đôn de transmettre à un camarade à Hà Nôi, le Dr Trân Văn Quý, médecin personnel discret de Hồ Chí Minh, mais dont les fils étaient membres du VNQDĐ, parti ultra-nationaliste à ce moment-là aidé par les Chinois. Un pied dans le pouvoir d’abord, pour travailler efficacement ensuite pour l’autonomie »4.

Lê Văn Hoạch, un caodaïste de Tây Ninh, fut choisi par les Français pour succéder à Nguyễn Văn Thinh[5] parce qu’il ne cachait pas sa position en faveur de l’indépendance de la Cochinchine. Pensait-il vraiment que cette indépendance serait viable jusqu’à la fin des temps ou que c’était une solution intermédiaire avant d’aller plus loin? En tout cas il perdit son siège car c’était une position honnie de la population[6]. La suite montra qu’il ne s’était pas arrêté là. Il devint favorable à une restauration de la monarchie et chercha à former un front des religions, le Liên Minh Quốc Gia Việt Nam (Alliance Nationale du Việt Nam) ou Liên Minh créé en 1948 à Sài Gòn dont il était le président. Dans sa tête, depuis le début ne visait-il pas, comme tant de monde, une indépendance totale du pays et non seulement de la Cochinchine?

Les tenants d’une régionalisation avec le Sud

La colonie Cochinchine avait, bien sûr, plus qu’ailleurs, des collaborateurs des Français naturalisés français qui profitaient de leur position pour réaliser leur ambition, qui préféraient ne pas perdre le cocon de leur statut privilégié, et qui, avec la plupart des Eurasiens, étaient favorables à un Sud autonome soumise à la France. Ces personnes ne représentaient cependant qu’une infime minorité d’une population qui ne pouvait pas oublier qu’ils étaient avant tout des Vietnamiens, des natifs d’un pays ayant une histoire de quinze invasions chinoises durant deux mille ans comprenant quatre périodes de dominations totalisant mille ans qui avait abouti à une indépendance totale de tout le territoire.

Les Français avaient toujours voulu voir dans ces collaborateurs des vastes mouvements qui leur étaient favorables. Et ils cherchaient toujours à démontrer que les Vietnamiens aimaient bien les Français et la France, parce que beaucoup y croyaient. Le général de Gaulle réaffirma dans une conférence de presse à Washington[7], par un appel de « la mère patrie à ses enfants », la volonté de la France de récupérer sa souveraineté sur l’Indochine. L’illusion que la France était la mère patrie des Vietnamiens restait vivace chez les Français. Beaucoup croyaient bien connaître les Vietnamiens. Ils ne savaient pas que ceux-ci pouvaient être fourbes avant que le ciel ne leur tombe sur la tête. Que leur sourire et leur rire devant des étrangers, Français et autres, n’avaient pas toujours le sens d’un sourire ou d’un rire.

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[1]   Viet Nam- L’histoire politique des deux guerres- Guerre d’indépendance (1858-1954) et guerre idéologique ou Nord-Sud (1945-1975), préfacé par Pierre          Brocheux, écrit par Nguyen Ngoc Chau et publié par les Editions Nombre 7, Nîmes, 2020.

[2]   Les grands partis vietnamiens étaient importants par le nombre de leurs partisans, et pas de leurs membres limités souvent à quelques milliers. Les                 minuscules partis devaient en comporter beaucoup moins, quelques dizaines peut-être de membres.

[3]    Nhìn lại Sử Việt (l'Histoire du Việt Nam réexaminée), Lê Mạnh Hùng, éd. THXBMDHK, 2013.

[4]    Nguyễn Văn Thinh (1888-1946)-L’aventure de la République Autonome de Cochinchine, G. Nguyen Cao Duc, Good Morning, AEJJR site,

[5]   Les Guerres d'Indochine, Philippe Franchini t. 1, Pygmalion - Gérard Watelet, 1988.

[6]    Historical Dictionary of Ho Chi Minh City, Justin Corfield, Anthem Press, 2014.

[7] End of Empire: One Hundred Days in 1945 that Changed Asia and the World (Fin de l’Empire: 100 jours en 1945 qui changèrent l’Asie et le Monde) – 2016,   David P. Chandler (Editor), Robert Cribb (Editor), Li Nagangoa (Editor).

Nous avons tous une tête, un nez, une bouche, un nombril,  deux yeux, deux bras, deux jambes, cinq doigts à chaque main, cinq orteils à chaque pied … Vous pouvez ainsi le constater, tout est Nombre, même pour ce qui nous touche intimement c’est à dire concernant notre propre corps.

Tout est Nombre c’est ce qu’enseigna déjà Pythagore il y a 25 siècles. Platon lui fit écho et les Sages d'Alexandrie transmirent cette connaissance à l'Occident chrétien.

Les nombres sont partout, dans leur milieu naturel càd l’Arithmétique ou la théorie des Nombres, et dans leur emploi dans toutes les sciences.

Base de la science traditionnelle, le Nombre ouvre la quête de la Connaissance, car il recouvre de nombreux mystères. Le Nombre et les nombres sacrés possèdent une très longue histoire, toujours en devenir. L'homme a su compter avant de savoir écrire. L'Egypte des pyramides a pratiqué le calcul binaire, cette langue universelle de l'informatique. Les Babyloniens inventèrent le Nombre du Nom. La Kabbale hébraïque et la cabale christianisée reposent sur cette science qui permet d'interpréter la Bible et les Livres sacrés. La géomancie permet de scruter l'incertain et la numérologie interprète les valeurs secrètes des noms et prénoms.

1.     LES NOMBRES ET LES FORMES

L’Arithmétique implique les chiffres et les nombres, et les relations entre ceux ci mettent en mouvement des lignes, créant des formes, des figures. Derrière les formes géométriques et les nombres que nous pouvons déceler dans tout l’Univers, se cache la sagesse du Créateur.

Je vais parler ici seulement des Cinq  premières formes géométriques, le Point, la Droite, le Triangle, le Carré et le Pentagone et les " nombres principes" que sont le Un, le Deux, le Trois, le Quatre, et le Cinq qui représentent les lois qui sont à l'origine du monde manifesté et la vie. Ces lois fondamentales qui incluent celles sur l'harmonie et les proportions sont présentes dans la Nature et furent utilisées par toutes les civilisations dans l'architecture sacrée, la musique, les beaux-arts, etc…

1) Le Cercle ou le Point représente l’Unité , le Un, point de départ et de limite de Tout Principe.

Un est le Symbole du Tout exprimé dans son unité, constituant la Base, la Perfection mais aussi la Connaissance.

Selon Agrippa, "le nombre 1 se rapporte au Dieu suprême, lequel étant un et innombrable, crée cependant les choses nombrables et les contient en soi". Saint Augustin affirme de même disant que l'Unité se rapporte "au Dieu suprême, Principe de toutes choses". Selon Etchegoyen, les propriétés de l'Unité sont: l'infini absolu, l'égalité, l'éternité, l'immutabilité et l'universalité. Héraclite disait que "de la multiplicité des choses provient l'Un, et de l'Un la multiplicité". En hébreu, le mot qui signifie l'Unité se traduit par "pointe, sommet, division empêchée". Ce nombre s'écrit au moyen de la lettre Aleph, représentant "un homme élevant une main vers le ciel, abaissant l'autre vers la terre, réalisant l'unité dans l'univers", selon Charrot. Le hiéroglyphe du soleil est un point à l'intérieur du cercle

Le 1 est le seul chiffre qui s'écrit de la même façon dans toutes les langues, et porte le symbole du trait. Le 1 est le nombre atomique de l'hydrogène, l'élément le plus répandu de l'univers, l'un des constituants de l'eau, source de toute vie. Dans les mathématiques, zéro multiplié par l'infini égale 1.

2) La Droite càd le tracé entre deux points représente le Binaire, le Deux, symbole de la dualité, des oppositions, de la séparation, de l'antagonisme, mais aussi des complémentaires.

Le 2 est le premier nombre à s'écarter de l'unité, qui admet la division et symbolise les choses corruptibles. Mais il exprime aussi la dualité et impliquerait l'idée de rapports directs et réciproques de relations complémentaires simples. "C'est le Nombre par lequel l'un est réuni à l'autre et par quoi seulement toutes les parties du monde font un".

Le deuxième terme d'une dualité est souvent considéré comme une négation ou une limitation du premier: le Diable, "Celui qui dit toujours non", et le Mal qu'il personnifie, ont le nombre 2 pour symbole. En hébreu, le nombre 2 est représenté par la lettre Beth, qui signifie un rayon de lumière sur deux horizons, ou la maison de Dieu et de l'homme entre les deux colonnes du temple de la nature. D'après la Kabbale, Dieu fit de cette lettre le fondement du monde.

Le nombre deux incarne toutes les oppositions: les deux sexes, le jour et la nuit, les deux grands luminaires - le soleil et la lune -, la vie et la mort, l'âme et le corps, la gauche et la droite, les élus et les réprouvés, le pôle nord et le pôle sud, le bien et le mal... Et plutôt aussi complémentaires , tels le Yin et le Yang dans la Tradition Chinoise.

Le dualisme est omniprésent, le soleil et la lune, la terre et le Ciel, 'autant d'indices pour rappeler que notre existence est régie par deux forces diamétralement contraires  et de même intensité permettant que la vie soit en équilibre.

3) Le Triangle, premier polygone fermé, représente le Ternaire, le plus sacré des nombres. En effet, il représente la Sainte Trinité, et est aussi le chiffre du Saint-Esprit et la troisième personne de la Trinité.

C'est le nombre de l'homme car celui-ci est composé d'un corps, d'une âme et d'un esprit. Selon le Livre des rites de la Tradition Chinoise  (Li-ji) l'homme, intermédiaire entre le ciel et la terre, correspond également au nombre trois qui est un nombre parfait. Le Trois  est aussi le  Symbole du compas . Il exprime la totalité, sans doute parce qu'il y a trois dimensions au temps: le passé, le présent et l'avenir.

Le 3 donne aussi la première surface, le Triangle. Les vertus théologales sont au nombre de 3 (la Foi, l’Espérance et la Charité).

4) Le Carré, une base en parfait équilibre , représente le Quaternaire, le Quatre, nombre de l'organisation et du rythme parfait et de la stabilité. Chez les Chinois le carré formé par 4 côtés en angles droits dessiné à l’aide d’une équerre est le symbole de la Terre ou de ce qui est terrestre, càd le monde temporel ou  la totalité du créé et révélé. On retrouve le nombre Quatre dans les quatre saisons, les quatre corps fondamentaux de la chimie organique: le carbone, l'hydrogène, l'oxygène et l'azote, les quatre points cardinaux ou directions de l'espace: Nord, Sud, Est et Ouest, les quatre états de la matière: solide, liquide, gazeux et igné, les quatre phases de la lune, les quatre membres de l'homme, les quatre cavités du coeur humain, les quatre forces physiques connues: la force nucléaire, la force radiative, la force électromagnétique et la force de gravitation, les quatre groupes sanguins: O, A, B et AB., les quatre vertus cardiale, etc….

Notons que 4 est le produit de PI par Racine carrée de Phi, Nombre d'Or.et revient à 1 puisqu'en additionnant les quatre premiers chiffres, on obtient 10 càd 1. 1+2+3+4 =10=1.

Quatre ouvre aussi la voie au cube par les points de jonction de quatre triangles formant le Tétraèdre, Premier solide connu.

La suite en allant vers le lien

https://drive.google.com/file/d/1iTrq0367C7_WSjpfpbR5eTlZGevgQzp7/view?usp=sharing

8. Une période charnière (2003)

Un article sur le temps du lycée à Sài gòn, le "temps des flamboyants"...

9. Documents sur Nguyễn Ngọc Bích

Documents on Nguyễn Ngọc Bích

Nguyễn Ngọc Châu

yakiribocou@gmail.com, + 33648919941

 

NGUYỄN NGỌC BÍCH (1911-1966)

1)   The lost crusade: America in Vietnam, Chester Cooper

2)  Our Vietnam: The War 1954-1975, A.J.Langguth

3)  Vietnam, A Dragon Embattled 1967, Joseph Buttinger

4)  Notes from a friend, TNA

5) Article in Le Secours Rouge, a French Newspaper, 1946

6) Telegrams (FRUS 1963)

7) Telegram on 1961 coup d’État

8) Hoàng Xuân Hản (X30) lettre aux polytechniciens pour sauver Nguyễn Ngọc Bích (X31)

9) Traduction en Français de l'article de Nguyễn Ngọc Bích dans China Quaterly en 1962

The complete document by using the following link

https://drive.google.com/file/d/1O9gKRIOhCtdPWaHt-nMASqTB-5BHQSnJ/view?usp=sharing

1) Nguyễn Ngọc Bích cité dans The lost crusade: America in Vietnam ( La croisade perdue: l'Amérique au Vietnam), Chester Cooper

2) Nguyễn Ngọc Bích cité dans Our Vietnam: The War 1954-1975, A. J. Langguth

3) Nguyễn Ngọc Bích cité Vietnam, A Dragon Embattled 1967, Joseph Buttinger

10. Les réformes agraires au Nord et au Sud Viet Nam

11. Ngô Đình Diệm et les Américains

Ngô Đình Diệm et les Américains

 

Nguyễn Ngọc Châu

 

Extraits de “ Viet Nam – Histoire politique des deux guerres – Guerre d’indépendance (1858-1954) et guerre idéologique ou Nord-Sud (1945-1975) “ préfacé par l’historien Pierre Brocheux, auteur Nguyễn Ngọc Châu, éditions Nombre 7 (France), 2020.

 *  *  *

« À bien des égards, la République du Việt Nam, qui a quitté l’année du Cochon, année lunaire de 1959, avait connu une croissance sans précédent de son économie, de son infrastructure politique et de sa stabilité intérieure, de son infrastructure politique et de sa position diplomatique au sein de la communauté des nations qui composaient l’Asie du Sud-Est et le Pacifique », écrivait R. Bruce Frankum, Jr [1].

Cependant, à partir de ce moment, et jusqu’à sa chute en 1963, Ngô Đình Diệm fut engagé dans les luttes de menaces internes et externes, comme il l’exposa dans son discours du 7 juillet 1960 à l’occasion du sixième anniversaire de sa prise de fonction. Il parla de ce qu’il considérait comme les deux problèmes majeurs du pays : « la double pression des facteurs internes et externes qui cherchaient à renverser la République ». Par externes il voulait parler du Nord Việt Nam, mais surtout des États-Unis sans les mentionner ni émettre une opinion sur leur politique1, et par internes, il y avait non seulement les Việt cộng, mais aussi la classe politique de Sài Gòn toujours en train de comploter, piaffant de ne pas être associée au pouvoir alors qu’elle se mettait en position d’opposant au gouvernement. Il se concentra sur l’amélioration de l’armée et sur la gestion de la sécurité intérieure, et exposait leurs réalisations (victoire du 5e Régiment dans la forêt de U Minh par exemple). Ou, comme il le fit le 18 mai, il lança un défi aux médias lors d’une conférence de presse à Bình Tuy. Il leur demandait de critiquer les représentants du gouvernement lorsqu’ils abusaient de leur pouvoir, et en retour, il reçut la coopération de plusieurs journaux dont le Sài Gòn mới (Nouveau Sài Gòn), le Tin mới (Nouvelles informations) et le Dân Chúng (La population).

Ngô Đình Diệm pratiquait une politique classique selon laquelle celui qui était élu, commandait à sa façon avec son parti, et non avec des opposants au sein de son gouvernement, ce qui était tout à fait naturel. En ce sens, il s’écarta de la pratique courante dans le pays qui était de monter un « front » pour associer tout le monde contre les communistes, une solution qui avait montré ses limites. Les résultats effectifs, autres que contenter les égos de certains politiciens étaient en réalité négligeables, en particulier lorsqu’on était dans le contexte d’une guerre contre la subversion et le terrorisme. Mais en négligeant l’existence de ceux qui n’étaient pas dans son camp, et en n’admettant pas les critiques et les suggestions d’avoir des mains moins fermes, il devint pour tout le monde un despote ayant tous les défauts du monde, surtout lorsqu’il s’appuyait sur un parti secret, et qui dit secret dit corruption, méfaits cachés, etc.

Ngô Đình Diêm eut alors à subir les pressions les suivantes :

1.   Choc de culture entre les Américains chargés de la politique des États-Unis dans le Sud-Est Asiatique et la personnalité d’un homme pas habitué à se baisser devant des étrangers qui voulaient lui imposer leurs lois. Cela engendra des mythes sur le régime qui s’avérèrent injustifiés et mensongers une fois les événements passés (dictateur corrompu favorisant les catholiques et intolérant envers les autres religions, etc.). « Vous pensez que vous pouvez avoir une rencontre des esprits avec Diem… mais je vous dis que c'est impossible. Pour un Occidental, Diem ne vient pas simplement d'une autre culture et d'un autre hémisphère. Il vient d'une autre planète » écrivait le journaliste Denis Warner dans « The last Confucian ».

2.   Apathie, jalousie ou lutte constante pour le contrôle du pouvoir d’une frange de la société vietnamienne éduquée à la française, frondeuse, grognonne et jamais contente – une intelligentsia vivant à Sài Gòn, loin des combats et de la terreur régnant dans certaines campagnes – se posant en opposante au régime et faisant même appel aux Américains pour faire pression sur lui.

3.   Augmentation des troubles créés par la décision du Nord Việt Nam en 1959 d’envoyer des troupes dans le Sud et les Việt cộng du Sud de créer en 1960 le Front National de Libération du Sud Việt Nam, dans une guerre subversive où la part de guerre psychologique par le mensonge et la terreur tenait une énorme place.

4.   Attaque de plusieurs journalistes de la presse américaine qui recherchaient non pas l’objectivité, mais plutôt les moyens d’écrire du sensationnel et d’abattre le régime, suscités pour cela par des agents secrets du PCI travaillant comme correspondants locaux.

L’équipe de l’ambassade des États-Unis au Việt Nam

Malgré les réalisations de Ngô Đình Diệm depuis son arrivée en 1954, cinq ans après, l’avis de l’équipe de l’ambassade des États-Unis à Sài Gòn n’était pas réjouissant. L’ambassadeur Elbridge Durbrow[2], un expert sur les Soviétiques [et donc plutôt un connaisseur de la mentalité de l’URSS]  affirma « Tout en concédant que la RVN avait pour objectif à long terme un idéal de démocratie et avait réussi à jeter les bases d’une telle forme de gouvernement, […] Ngô Đình Diệm n’avait vraiment fait que des progrès minimes pour atteindre cet idéal 1 ». Il écrivit au Département d’État le 7 décembre 1959 : « Le Việt Nam ne peut montrer que de petites avancées. De plus, ces étapes ne représentent en grande partie que l’érection d’une façade et la réalité de la situation reste celle d’un contrôle autoritaire par le régime[3] ».

Ngô Đình Diệm était loin d’être quelqu’un qui pouvait lui obéir au doigt et à l’œil pour servir les meilleurs intérêts des Américains, suivant les objectifs que ceux-ci s’étaient fixés. Il avait besoin de l’aide américaine et éprouvait naturellement à leur égard de la reconnaissance, mais il s’entêtait à vouloir garder sa liberté d’agir suivant ses propres convictions. « L’Amérique a une merveilleuse économie et beaucoup de bons côtés, disait-il un jour à un journaliste, mais est ce que votre force, chez vous, signifie automatiquement que les États- Unis ont le droit de tout dicter ici au Việt Nam, qui subit un genre de guerre que votre pays n’a jamais connue ?» notera plus tard Nixon dans son livre Plus jamais de Vietnams [4] . Toute l’équipe menée par l’ambassadeur Elbridge Durbrow critiquait le parti Cần Lao de tous les maux, y compris de corruption, car c’était un parti secret, et ne mentionnait pas dans les rapports à Washington, ni le succès de ses réalisations humanitaires et sociales qu’elle connaissait, ni les réussites du gouvernement. Impatiente, elle était ulcérée que Diệm pensait en termes d’années, de décades, et non pas, de jours ou d’heures. Elle voulait pour le pays une démocratie à l’américaine, alors que le président vietnamien concevait qu’un pouvoir fort et certaines mesures dures, comme la censure de la presse, étaient nécessaires dans une guerre contre la subversion. Alors que Ngô Đình Diệm demandait que des troupes soit entraînées aux tactiques et techniques de contre-insurrection et de contre-terrorisme, Durbow passât son temps à critiquer l’inefficacité de l’Armée de la République du Việt Nam (ARVN), alors que celle-ci était formée par les Américains pour contrer une invasion possible des Nord Vietnamiens comme cela s’était passé en Corée. La demande d’aide pour augmenter de 20 000 le nombre de combattants que Ngô Đình Diệm considérait comme nécessaire, devint pour l’équipe de l’ambassade un moyen de marchandage pour l’amener à faire des réformes démocratiques et à se détacher de Ngô Đình Nhu : l’ambassadeur Elbridge Durbrow et ses conseillers Joseph Mendenhall et Francis Cunningham étaient en contact avec des personnalités de Sài Gòn qui voulaient plus de démocratie et de partage de pouvoir.

Mais le régime n’admettait pas de plus en plus les contradictions et les opposants, et ainsi éloigna petit à petit ceux qui avaient une sympathie pour lui dès le départ. Le Michigan State University qui avait monté un groupe procurant assistances et conseils à Ngô Đình Diệm dès 1955, dont ceux pour la mise en place de la Constitution, eut des rapports tendus avec lui après avoir émis des rapports et des articles en 1960 qui le critiquaient. Ngô Đình Diệm rejeta ces critiques et coupa les relations avec le groupe en 1962. Certains qui avaient coopéré avec lui, devinrent ses critiques, comme l’ancien ministre Trần Văn Đỗ qui représentait l’État du Việt Nam à la conférence de Genève.

[…]

D’après l’historien militaire Geoffrey D.T. Shaw, les problèmes qui avaient surgi entre Diệm et Washington avaient leur origine dans l’arène politique/diplomatique américaine. Alors que Diệm et l’armée américaine s’accordaient bien, l'ambassade américaine et le département d'État s'opposaient à la direction qu’ils avaient prise. Selon ces derniers, le problème ne trouve sa solution qu’en Diệm, qui devait rendre son régime plus démocratique et moins autoritaire et éloigner Nhu et sa femme. Ainsi, le Département d’État considérait l’accroissement de l’armée et l’aide militaire comme un levier qui ferait garantir que Diệm ferait les réformes que les diplomates américains pensaient devoir être faites.

Ngô Đình Diệm voulait réduire la présence américaine (mai 1963)

Les agissements de l'ambassade américaine et du département d'État qui poussaient les Américains à vouloir s’engager de plus en plus dans le pays et Ngô Đình Diệm à faire des réformes suivant leur optique, ennuyèrent beaucoup celui-ci et son frère Nhu.

Ils avaient besoin des Américains, mais ne voulaient pas que le prix à payer soit la perte de leur liberté d’initiative et la complète dépendance aux décisions de ces étrangers. Or cela était inévitable, quels que soient les cieux sous lesquels on se trouvait. Les Vietnamiens du Nord et du Sud, en se faisant la guerre, perdirent leur liberté désormais aux mains de ceux qui les armaient.

En mai 1963, Ngô Đình Diệm posa la question sur ce que les Américains voulaient faire au Việt Nam et demanda que 5 000 de leurs militaires quittent le pays au début de l’été de la même année. Le 17 mai 1963, dans l’accord sur le financement de la lutte anti-insurrectionnelle, on pouvait lire : « le niveau actuel de l’effort de soutien et de conseil est nécessaire mais en fonction de l’amélioration de la sécurité et du progrès du Programme des Hameaux Stratégiques (PHS) il est prévu que l’assistance étrangère, à la fois en termes d’hommes et de matériel, serait progressivement réduite ». Un article du 12 mai de la journaliste Unna dans le Washington Post cita Nhu et sa déclaration dans une interview « le Sud Việt-Nam aimerait voir partir la moitié des 12 000 à 13 000 militaires américains présents ici ». Nhu dut démentir ces paroles et afficher une attitude conciliante après la forte réaction du gouvernement américain.

Contacts de Ngô Đình Nhu avec le Nord (1963)

En même temps, Ngô Đình Nhu prit contact avec le Nord à travers notamment une rencontre dans le district de Tánh Linh de la province de Bình Tụy avec Phạm Hùng[5] (1912-1988), vice Premier ministre, responsable de l’unification des deux régions depuis 1958 et ancien chef de la délégation militaire du Nord Việt Nam à Sài Gòn dans l’International Control Commission (ICC, Commission Internationale de Contrôle) établie suivant les accords de Genève pour contrôler leur application. Il passa aussi par l’intermédiaire de Mieczylaw Maneli, chef de la délégation polonaise de l’ICC, venu le voir le 2 septembre 1963 au palais Gia Long[6]. Nhu avait discuté avec quelques généraux, dont Dương Văn Minh (le Gros Minh, « big Minh ») de sa conversation avec Maneli. Celui-ci lui avait retransmis une proposition du Premier ministre nord-vietnamien Phạm Văn Đồng de commencer des échanges commerciaux entre le Nord et le Sud et s’était mis à la disposition de Nhu pour s’envoler à Hà Nội à tout moment. L’ambassadeur français Lalouette avait aussi offert ses services dans les mêmes buts.

Le 26 septembre 1963, plus d’un mois avant le coup d’État qui achèvera Ngô Đình Diệm et Ngô Đình Nhu, il y eut un rapport de la CIA avec pour sujet « Possible rapprochement entre Nord et Sud Việt Nam ».

Ce rapport estimait que « les signes que le GVN [gouvernement de la République du Việt Nam)], la RDV [la République Démocratique du Việt Nam, c’est-à-dire le Nord] et les Français étaient en train d’explorer des possibilités d’une sorte de rapprochement Nord Sud » que Joseph Alsop avait indiqués dans son article du 18 septembre 1963 dans le Washington Post, ne concernaient pas une imminente réunification, mais plutôt « un cessez-le-feu, un cessez-le-feu formel ou une sorte de neutralisation ». « Maintenant Nhu reconnait des contacts avec le Nord et a laissé entendre que le GVN ne refuserait pas nécessairement de considérer des ouvertures de Hà Nội […] Il y a suffisamment de possibilités que la famille Ngô est en train de s’intéresser sérieusement à un tel rapprochement qu’il mérite que nous y prêtions une continuelle attention… ».

Déjà « en mars 1962, Hồ Chí Minh avait confié son intérêt pour une solution pacifique au problème Nord Sud au journaliste Wilfred Burchett [connu pour sa sympathie pour les communistes] et en septembre [de la même année], le président Indien de l’ICC avait rapporté que Hồ avait dit qu’il était prêt à tendre une main amicale à Diệm (“un patriote”) et que le Nord et le Sud pourraient commencer quelques pas vers un modus vivendi, incluant un échange de membres de familles séparées» [7]. Ce discours méritait d’être analysé en tenant compte de l’optique exprimée par Hồ Chí Minh dans le testament qu’il laissa pour la postérité : la construction du marxisme-léninisme était sa priorité[8].

[…]

16.1. La situation dans le Sud

Ngô Đình Diệm était réticent de voir le nombre de conseillers américains s’accroître, il ne voulait pas de troupes combattantes étrangères sur le sol du pays, et préférait plutôt une augmentation de l’aide économique et de l’entraînement des troupes vietnamiennes pour les rendre aptes à lutter dans une guerre anti insurrectionnelle. Il l’avait fait savoir à Johnson lorsque celui-ci, alors vice-président de Kennedy, était venu au Việt Nam en mai 1961. En mai 1963, il demanda que 5 000 militaires américains quittent le pays au début de l’été de la même année, non sans raison, la situation militaire s’étant beaucoup améliorée.

En effet, avec le nouveau matériel reçu des États-Unis, la situation militaire s’était retrouvée plus confortable. Ainsi, le 9 septembre 1963, à Áp Bắc la confrontation des bataillons 261 et 514 du FNLSVN avec la division 7 s’acheva avec 82 corps des Việt cộng restés sur le sol – nombre plus élevé que celui des soldats de l’ARVN tombés dans la première bataille de Áp Bắc qui avait fait la gorge chaude de la presse américaine – et une centaine de morts et blessés emportés par les vaincus dans leur fuite. Ce fait fut confirmé plus tard dans le livre Cuộc đo sức thần kỳ  (La compétition miraculeuse) de Lê Quốc San du camp des communistes. De même, la bataille à Bãi Ai, Chương Thiện en octobre 1963 où la division 21 avait dû traverser une zone de marécages avec l’eau jusqu’au buste pour pouvoir attaquer fut rapportée avec des notations positives par Halberstam dans le New York Times, ce journaliste qui avait fait un article plein de critiques sur la première bataille de Áp Bắc.

Les difficultés des ấp chiến lược ( hameaux stratégiques) des débuts étaient aplanies pour la plupart, et les attaques répétées des Việt cộng prouvèrent que leur existence les dérangeait beaucoup. Le nombre des attaques à l’été 1963 des ấp chiến lược des quatre provinces Long An, Định Tường, Vĩnh Bình et Kiến Hòa de la plaine du Mékong était équivalent à celui de toutes celles des 37 autres provinces du Sud Việt Nam.

[…]

La situation au milieu de 1963 était telle que le NSAM (National Action Security Memorandum, ou Mémorandum d'action sur la sécurité nationale) n° 263 du 11 octobre 1963 prévoyait de retirer 1 000 militaires américains à la fin de 1963 et la date de fin 1965 pour le retrait total de tous les militaires. Ainsi, le nombre de militaires présents sur le sol vietnamien passa de 16 752 en octobre 1963 à 15 894 au 31 décembre 1963.

[…]

Sur l’assassinat de Diệm et Nhu

[…]

Le président Nixon dira plus tard : « Nous commîmes une erreur cruciale au Sud Việt Nam en 1963. Le gouvernement Kennedy, de plus en plus irrité contre le président Diệm, encouragea et appuya un coup d’État militaire contre son gouvernement. Ce honteux épisode se termina par l’assassinat de Diệm et fut le début d’une période de chaos politique ». William Colby, lui écrira : « Les Américains, en patronnant le renversement de Diệm, ce que je considère encore aujourd’hui comme la pire faute de la guerre du Việt Nam … ». Et qu’avait pensé le général Dương Văn Minh, celui qui ordonna l’assassinat de Diệm, quand il sut plus tard, trop tard, que Nguyễn Hữu Thọ, le président du FNLSVN, avait déclaré « la chute des Ngô était pour nous un présent du Ciel » ? [9]

[…]

Cependant la chasse aux sorcières qui suivit la mort de Diệm et Nhu, le démantèlement du réseau de leurs fidèles et de leur service de renseignement, le remplacement de ceux qu’ils avaient nommés, même s’ils étaient efficaces, la « démocratisation » voulue par le Département d’État et les intellectuels saïgonnais, la catastrophique gestion de la situation par le général Dương Văn Minh, combinée à la grogne des généraux, affaiblirent le régime. Les anciens membres du parti Cần Lao Nhân Vị de Diệm, les chefs des provinces, les responsables des villes, tous ceux qui avaient travaillé avec Diệm furent emprisonnés ou écartés malgré leur expérience de lutte dans un contexte difficile et de gestion des ấp chiến lược souvent attaqués, sans qu’il y eût assez de gens compétents pour les remplacer. Les mouvements et associations mis en place par Nhu furent aussi démantelés sans qu’il y eût autre chose à la place. En novembre et décembre 1963, les Thanh Niên Chiến Đấu (Jeunesse Combattante) créés par Nhu pour défendre les ấp chiến lược qui, dans bien des endroits, avaient montré leur efficacité, furent démobilisés de crainte qu’ils ne soient pas fidèles au nouveau gouvernement. Tout cela engendra un vide dont profitèrent tout de suite les Việt cộng pour qui la mort de Diệm était un miracle.

[…]

La situation s’était beaucoup détériorée, tant au point de vue politique avec la continuation des troubles civils, que militaire où les troupes du gouvernement, malgré quelques succès, n’arrivaient toujours pas à reprendre l’initiative. Le NSAM 288 émis le 17 mars 1964 appela le gouvernement du Sud Việt Nam à mettre le pays en état de guerre et de lancer la mobilisation générale, et autorisa des opérations terrestres sud-vietnamiennes au Laos à des fins de contrôle des frontières. Le général William Westmoreland, un parachutiste vétéran de la Seconde Guerre mondiale et de celle de Corée remplaça le général Paul Harkins comme chef de la MACV. Le nombre de conseillers américains s’accrut rapidement, et atteignit en quelques mois 23 300. Les Américains comprenant que le régime du Sud était en mauvaise passe, déclarèrent soutenir le général Nguyễn Khánh et firent tout leur possible pour empêcher tout nouveau coup d’État. Jusqu’alors, les seules opérations contre le Nord Việt Nam étaient des lancements de tracts et quelques missions d’espionnage sur son sol. Les Américains pensèrent maintenant qu’il faudrait peut-être le punir directement pour les forcer de ne plus continuer leurs envois de troupes au Sud. Mais jamais ils pensaient aller jusqu’à les vaincre réellement, puisque rien n’était préparé dans ce but. Les Vietnamiens du Nord prévenus par l’intermédiaire des Canadiens de l’ICC des avertissements américains de leur réaction possible, répondirent que si les Américains voulaient la guerre, ils l’auraient et ils la perdraient.

[…]

Avec la naissance de la Seconde République en novembre 1966 et la stabilisation de la situation politique, le gouvernement se concentra dans la lutte pour obtenir le cœur de la campagne et développer celle-ci. Des cadres du Xây Dựng Nông Thôn (Construction rurale) après formation étaient envoyés par équipe d’une soixantaine d’hommes vivre avec les paysans et aider au développement des villages. Le succès de cette campagne dépendant de la sécurité assurée par les forces de l’ordre, la faiblesse de celles-ci ne put éviter la foudre de la partie adverse, et bon nombre de ces cadres furent assassinés ou enlevés. Durant le premier semestre de 1967, plus de 3 000 d’entre eux périrent ou disparurent. Malgré le danger et la difficulté de la tâche, le programme eut quelques petits succès jusqu’à la fin de 1967.

[…]

16.2. L’escalade du Nord Việt Nam

À la 9e réunion du Comité Central du Parti Lao Động à Hà Nội (décembre 1963), il fut décidé d’accroître drastiquement l’envoi de troupes et d’armes au Sud. Le rapport de la réunion indiquait que « les troubles qui se sont produits dans l'armée et le gouvernement fantoches, ainsi que la désintégration des mouvements oppressifs de Diệm (comme le parti Cần Lao Nhân Vị, les forces du Thanh Niên Cộng Hòa (la jeunesse Républicaine), le réseau des áp chiến lược, ainsi que l'appareil de sécurité terroriste et les organisations catholiques réactionnaires) ont créé des conditions favorables pour nous […] Nos ennemis n'ont plus la capacité de résister aux attaques à grande échelle ». Il estimait qu’il fallait deux à trois ans avant que le Sud ne tombe entièrement dans les mains du Nord.

Un rapport du FNLSVN de mars 1965 saisi par les forces américaines fit savoir qu’il avait pu inverser le rapport des forces, et que la plupart des forces militaires et paramilitaires au niveau des hameaux et des villages avaient été anéanties et remplacées par les siennes, et que 80 % des ấp chiến lược (hameaux stratégiques) étaient tombés dans ses mains. La tactique assiéger le poste pour anéantir les renforts (công đồn đả viện) avait bien payé. Il s’agissait de faire le siège d’un hameau stratégique ou un poste avec des forces supérieures et tendre une embuscade pour anéantir les renforts envoyés par l’ennemi avant de disparaitre.

[…]

16.3. L’escalade américaine

[…]

Les troupes américaines augmentèrent de 50 000 hommes en juin 1965 à 185 000 à fin 1965, puis à 486 600 à fin 1967, et atteignirent le pic de 543 000 en avril 1969 lorsque le 37e président des États-Unis Richard Nixon (1913-1994) décida de remplacer les troupes américaines par les troupes sud-vietnamiennes (programme de « vietnamisation »). Des alliés des États-Unis étaient aussi présents au Sud Việt Nam : des Sud-coréens (48 000), des Thaïlandais (10 000), des Australiens (quelques milliers) et des Philippins.

Il faut dire que seulement de 10 % à 25 % des troupes américaines avait vraiment combattu, une grande proportion s’occupant de la logistique ou des tâches administratives.

[…]

Après l’attaque du Tết Mậu Thân (1968) .

Le moral du régime de Hà Nội était au plus bas. Aucun des objectifs qu’il visait n’avait été réalisé. Personne ne s’était soulevé, partout leur armée avait été repoussée avec de nombreuses pertes, et leur réseau d’agents secrets sérieusement éventé et décimé.

Durant le premier semestre 1969, 20 000 hommes des troupes communistes se rendirent à l’ARVN, triplant le nombre de l’année précédente. De 75 000 à 85 000 d’entre eux avaient été tués durant les batailles de 1967 et 1968, dont la plupart étaient des forces du Sud, réduisant de beaucoup sa puissance et ne lui permettant plus de s’engager dans de grandes opérations.

Le général Trần Văn Trà (1918-1996) qui mena l’offensive fit une autocritique en 1982 dans son livre La fin de la guerre de trente ans (Kết thúc cuộc chiến tranh 30 năm) : « Nous n'avons pas correctement évalué nos forces par rapport à celles de nos ennemis. Nous n'avons pas pleinement compris que l'ennemi avait encore d'importantes capacités de combat, que notre capacité était limitée et que les exigences dépassaient notre force ». Ce livre fut interdit de publication, et lui valut d’être radié du Parti qu’il avait rejoint en 1938, bien qu’il eût été ministre de la défense de 1978 à 1982.

Le général Trần Độ (1923-2002) qui fut Commissaire adjoint et Secrétaire adjoint de la Commission militaire de l'Armée de libération du Sud Việt Nam, écrivit : « Pour être honnête, nous n'avons pas at--teint l'objectif principal qui est de stimuler le soulèvement général dans le Sud. Mais nous avons infligé de lourdes pertes aux États-Unis et à l’armée fantoche. Et c'est une grande victoire pour nous. En ce qui concerne la création d’une grande agitation aux États-Unis, ce n’est pas vraiment notre intention, mais c’est devenu une conséquence chanceuse et heureuse »[10].  

En effet, l’impact psychologique négatif fut très fort en Amérique. Le gouvernement de Johnson n’arriva pas à convaincre les Américains que le Nord avait été bel et bien battu. L’échec militaire des communistes fut transformé en défaite politique des Sud Vietnamiens et des Américains par la façon dont la presse et la télévision américaine, à travers certains journalistes américains et des correspondants locaux, interprétèrent cette offensive du Tết Mậu Thân. Ainsi Phạm Xuân An, correspondant local du Time magazine,  très proche de Lansdale, chef de la Saigon Military Mission, était un membre secret du PCI qui mourut en 2006 comme général de brigade de l’armée de la RSVN[11].

L’attaque du petit David Nord Vietnamien, qu’on pensait être tout seul avec sa volonté et son courage, contre le géant Goliath américain nanti de toutes les armes les plus modernes, bouleversa toute l’Amérique. Walter Cronkite, présentateur du journal télévisé américain CBS Evening News entre 1962 et 1981, considéré comme le plus représen-tatif de l’opinion américaine, dira, durant l’offensive, que la guerre du Việt Nam n’était pas gagnable. L’augmentation des troupes américai-nes ne ferait qu’accroître celles du Nord, et la guerre continuerait mais de façon plus violente sans que l’Amérique puisse gagner. L’horreur de la guerre et la mort de nombreux soldats américains émurent aussi l’Amérique et poussèrent nombre de ses citoyens à s’opposer à la guer-re au Việt Nam. Le nombre de ses « boys » morts, de 400 environ en-tre 1956 et 1964, passa à 1 863 en 1965, 6 143 en 1966 et 11 153 en 1967. Le 18 février 1968, en pleine offensive du Tết, la révélation du nombre de tués américains pendant une semaine, 543, et de blessés, 2 547, les chiffres les plus hauts depuis l’intervention américaine au Việt Nam, choqua l’Amérique toute entière. Surtout que beaucoup de soldats américains étaient des appelés du service militaire.

[…]

La « vietnamisation » de la guerre au Sud

Le programme de remise de la responsabilité de la guerre aux Sud Vietnamiens commencé sous Johnson, continua sous le nom de « Vietnamisation » avec Nixon (1969-1974). On revenait simplement à la situation de la période d’avant le coup d’État des généraux vietnamiens contre Diệm en 1963. Nixon en fit un sujet de stratégie avec beaucoup de bruit, suite au rapport d’octobre 1969 de Sir Robert Thompson, le conseiller britannique,  qui indiquait qu’avec une aide économique et militaire adéquate, les forces du Sud Việt Nam auraient dans l’espace de deux ans la capacité de repousser toute action des communistes sans l’aide de troupes américaines.

Vis-à-vis du monde, la RVN et les États-Unis perdirent leur crédit par la grâce des Américains. Le Nord avait pu transformer, pour les yeux du monde entier, par une intelligente propagande et grâce à l’action des journalistes du monde occidental, la guerre idéologique entre le Nord communiste et le Sud nationaliste en une guerre entre un pays indépendant, la République Démocratique du Việt Nam (le Nord), et un envahisseur étranger, les États-Unis, dont l’allié local, la République du Việt Nam (le Sud), n’était que la “marionnetteˮ presqu’invisible dont les journaux Américains ne disaient que du mal. Les États-Unis imposaient leurs décisions à cet “alliéˮ qui ne pouvait que leur obéir, car ils détenaient ce qui importait le tout dans une guerre : les moyens de la faire ( l’argent, les armes, les munitions, les avions, l’essence, etc.). Leur aide valait la soumission à leurs désirs sur la façon de gouverner le pays, car ils pensaient connaître la mentalité vietnamienne mieux que les Vietnamiens eux-mêmes.  Ngô Đình Diệm avait senti cela et voulait l’éviter. Il ne voulait pas de la présence des troupes de combat américaines sur le sol vietnamien, il préférait plutôt renforcer la puissance des troupes Sud Vietnamiennes et un accroissement de l’aide américaine, seule vraie solution de cette guerre. Finalement, six ans après sa chute en 1963, le Président Nixon ne fit pas autre chose avec « son programme de Vietnamisation »

De l’autre côté, le Việt Nam du Nord se présentait comme un pays petit et faible, mais indépendant, qui devait, pour préserver son existence, s’opposer à cette grande puissance, la plus puissante du monde, sans qu'on puisse voir la moindre ombre, ni le moindre souffle, d’un grand allié derrière ses épaules, grâce à la subtilité des discrets et habiles Chinois et Russes dont l’aide était cependant primordiale à son effort de guerre. Et là, l’offensive du Tết Mậu Thân montrait que lui et le peuple sud vietnamien n’avaient pas peur de s’opposer à cette Amérique qui bombardait le Nord et étranglait le Sud du pays.

 *  *  *

Les Américains avaient imposé leurs méthodes sans tenir compte de la réticence de Ngô Đình Diệm, et finalement ils rebroussèrent chemin pour faire ce qui n’était que ce que recommandait celui-ci. Et ils continuèrent de s’impliquer, non pour aider les Sud Vietnamiens, mais pour se protéger eux-mêmes. Jusqu’au moment où, n’ayant plus de crainte pour leur pays parce que la communication était établie avec la Chine,  ils firent tout pour s’en aller sans tenir compte des promesses données à leur ancien allié.

 

 



[1]  Vietnam, year of the rat, Elbridge Burbrow, Ngô Đình Diệm and the Turn in US Relations, 1959-61 (Vietnam, année du rat, Elbridge Durbrow, Ngô Đình Diệm et le tournant des relations avec les USA, 1959-1961), Ronald Bruce Frankum Jr.

[2]   Ambassadeur des États-Unis au Việt Nam du 14 mars 1957 à avril 1961.

[3]   FRUS 1958-1960, Volume I: Vietnam, 260, Dispatch 153, December 7, 1959.

[4]  Plus jamais de Vietnams (No more Vietnams), Richard Nixon, Albin Michel, Paris (1986) et Arbour House, NY (1985).

[5]     Mủa hè máu lửa (L’été en feu et en sang), [général]Đổ Mậu,

[6]  Thèse de Master’s Degree, The Vietnam War: Lost or Won? Vũ Ngự Chiêu, Université Wisconsin-Eau Claire, 1977, sous la direction du professeur Richard D. Coy.

[7] FRUS (documents Foreign Relations of the US du Département d’État américain), 1961–1963, Volume IV, Vietnam, August–December 1963, D151.

[8] Voir 17.3. le testament de Hồ Chí Minh.

[9]   Việt Nam où est la vérité, Trương Vĩnh Lễ, préfacé par Jacques Chaban-Delmas, Éd. Lavauzelle, 1989.

[10] En raison de son désaccord avec certains autres hauts dirigeants du Parti Lao Động, Trần Độ fut expulsé du Parti le 4 janvier 1999 après en avoir été membre pendant 58 ans.

[11] The Vietnam War’s Great Lie - How the Communists and Pham Xuan An won the propaganda war (Le grand mensonge de la guerre du Việt Nam – comment les communistes et Pham Xuan An gagna la guerre de propagande) – article du 13 février 2018 de Luke Hunt dans The Diplomat. L’interprétation des médias américains fut analysée plus tard en profondeur par Peter Braestrup dans son livre Big Story.

12. La conférence de Genève de 1954

Viet Nam – La Conférence de Genève de 1954

NGUYEN NGOC Chau

Beaucoup ont entendu parler des accords de Genève du 21 juillet 1954 qui mirent fin, pour les Vietnamiens, à la guerre d’indépendance qu’ils menaient depuis 1858 contre les colonisateurs Français, et pour les Français, à la guerre d’Indochine entreprise dès 1945 pour récupérer l’Indochine perdue aux mains des Japonais le 9 mars 1945.

Peu cependant en connaissent le vrai contenu. Une thèse de doctorat d’état en pharmacie sur l’agent Orange[1] présenté devant un jury des plus sérieux de l’université de Bordeaux en 2015 indique que les Américains qui voulaient stopper la propagation communiste et qui étaient opposés à des élections prévues pour une réunification future, « n’avaient pas signé l’accord de Genève à l’inverse de la France ». La croyance que ces accords ont été signés par toutes les puissantes présentes sauf les Etats Unis et l’État du Viet Nam est une erreur bien ancrée chez beaucoup.

Le texte qui suit, qui parle de cette conférence, est un extrait de mon livre « Viet Nam - L’histoire politique des deux guerres – Guerre d’indépendance ( 1858-1954) et guerre idéologique ou Nord-Sud (1945-1975) », préfacé par l’historien Pierre Brocheux et publié par les Editions Nombre 7 en 2020 en France.

10.1. La route vers la conférence de Genève

Une conséquence des discussions entre les quatre puissances alliées (25 janvier 1954)

Le réarmement de l’Allemagne de l’Ouest, qui pouvait être un rempart contre une éventuelle agression de l’URSS, devait se faire dans le cadre d’un traité instituant une Communauté de Défense Européenne appelé traité CDE (ou EDC, European Defence Community), c’est-à-dire la création d'une armée européenne avec des institutions supranationales, sous la supervision du commandant en chef de l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique nord). Ce traité avait déjà été signé par 6 pays le 27 mai 1952 et ratifié peu après par la République fédérale d'Allemagne, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas.

En novembre 1953, l'URSS annonça, dans une lettre aux trois pays alliés qui occupaient l'Allemagne (France, RU et USA), qu'elle acceptait la proposition émise six mois auparavant d'une conférence à quatre sur l'Allemagne, à condition qu'une autre conférence, à cinq, avec en plus la République Populaire de la Chine, soit organisée après.

Le ministre des affaires étrangères français, Georges Bidault, se rendit compte, à la conférence des quatre ministres des affaires étrangères à Berlin le 25 janvier 1954, que son homologue russe Vyacheslav Molotov était intéressé par l'échange d'une sortie honorable de la France de l'Indochine contre sa non-implication dans le traité CDE que ne voulait pas l'URSS.

Finalement, il fut décidé de tenir en avril 1954 une autre conférence à Genève, avec la présence de la RPC comme l'avait proposé l'URSS, et les deux sujets traités seraient la Corée et l'Indochine. Et bien sûr, la France acceptait de ne pas ratifier le traité CDE, obligeant les États-Unis à utiliser la solution de faire entrer l'Allemagne dans l'OTAN, une organisation politico-militaire dans laquelle les pays membres avaient des obligations de sécurité et de défense collectives.

Les positions de Hồ Chí Minh et de la France

Hồ Chí Minh avait toujours voulu résoudre le conflit par des négociations. Et il était très clair sur de telles négociations : « Si le gouvernement français, tirant des leçons de la guerre de ces dernières années, veut aller vers une trêve par la négociation et résoudre les problèmes du Việt Nam par la voie pacifique, le peuple vietnamien et le gouvernement de la RDVN sont prêts à l’accepter […] Il suffit que le gouvernement [français] arrête sa guerre d’invasion pour qu’il y ait un cessez-le-feu. La base du cessez-le-feu au Việt Nam est le respect de la véritable indépendance du Việt Nam […][2]. »

C’était le sens de sa déclaration du 29 novembre 1953 au journal suédois Expressen.

Parlant des conditions indispensables pour arriver aux négociations, il avait précisé : « L’expérience de la Corée nous montre qu’il faut se battre jusqu’à ce que l’impérialiste soit à terre. Sachant qu’il ne peut plus combattre, il acceptera de négocier […] Nous devons aussi nous battre pour que la France soit à terre. À ce moment, on négocie s’il y a des négociations, ce n’est pas en lui proposant de négocier qu’elle va tout de suite négocier. N’ayons pas des illusions. Son but est de nous envahir. S’il lui reste 1 % d’espoir après avoir perdu 99 %, elle continuera de se battre. Il faut la mettre à terre pour qu’elle accepte de négocier. »[3]

Concernant la France, après huit ans passés à vouloir construire une Union Française digne d’une grande puissance mondiale, elle changea sa position. Sur le plan militaire, elle commençait à s’embourber avec quelques défaites et une guerre devenue difficile. Sur le plan financier, la guerre lui coûtait cher malgré l’importante aide des États-Unis : 556 milliards de francs en 1953 incluant cette aide, pour 3,2 milliards en 1945. La valse de gouvernements successifs avait fini par épuiser tout le monde. En novembre 1953, en prenant Điện Biên Phủ pour en faire un camp retranché, le général Navarre ne fit qu’appliquer son plan[4] adopté par le gouvernement français le 24 juillet 1953 (et approuvé par les États-Unis), dont l’objectif était de mener l’adversaire à venir négocier sous des conditions acceptables lui permettant de se retirer « dans l’honneur »[5]. Il s’agissait de détruire l'armée communiste dans le Nord en passant par une victoire à Điện Biên Phủ qui contrôlait la route vers le Laos et à partir duquel pourraient être menées les campagnes de reprise des territoires du nord-ouest.

En un mot, les deux antagonistes partageaient la même vision sur les négociations de paix. Elles ne pouvaient se faire qu’une fois l’adversaire à terre, tout ce qui se passait avant n’était que pure tactique pour gagner du temps. Et le modus vivendi secret du 14 septembre 1946 en était une, que les Français ne pouvaient pas manquer de se rendre compte.

10.2. La conférence de Genève (26 avril 1954 - 21 juillet 1954)

C'était la première fois que la République Populaire de Chine assistait en tant que grande puissance à une conférence internationale. Sa délégation dirigée par le Premier ministre Chou En Lai était forte de 200 personnes dont de nombreux diplomates aguerris.

Dès le début, Vyacheslav Mikhaïlovitch Molotov (1890-1986), le ministre des affaires étrangères de l'URSS et l'ex bras droit de Staline (mort le 5 mars 1953), insistait pour que le Việt Minh soit représenté à la conférence. Invitée après d'intenses discussions, une délégation conduite par Phạm Văn Đồng arriva le 4 mai.

La partie de la conférence qui traitait les problèmes de l'Indochine débuta le 8 mai 1954, un jour après la chute de Điện Biên Phủ.

De nombreux blocages dus à la différence des positions du Việt Minh et des pays occidentaux provoquèrent découragement et irritation chez certains. Ainsi Pierre Mendès-France avait dit aux Américains que si un cessez-le-feu n'était pas accepté au 20 juillet 1954, il approuverait l'envoi des conscrits en Indochine et introduirait une loi au Parlement avec effet au 21 juillet. Son gouvernement ne se résignerait pas avant que cette loi passe.

Concernant le partage, on était parti d'une partition en deux territoires avec dans chacun des enclaves, les Français pensant à Hải Phòng et des positions dans les zones catholiques, et le Việt Minh à certains territoires dans le Sud. On arriva finalement à un partage du pays à un certain niveau de parallèle.

Sur le Laos et le Cambodge, pour le Việt Minh, les Khmers Issarak et le Pathet Lao étaient équivalents au Việt Minh et devaient être reconnus par la France et posséder, comme lui, des territoires. Les délégations du Laos et du Cambodge considéraient, elles, que c'étaient des rebelles soutenus par le Việt Minh qui y avait mis des “volontaires”, et qu'il suffisait d'un retrait des forces étrangères, celles du Việt Minh incluses, pour que le problème soit résolu.

Des documents chinois et russes indiquèrent plus tard que la RPC et l'URSS s'étaient déjà entendus pour pousser à des négociations sur un cessez-le-feu au Việt Nam, sans consultation du Việt Minh. À mi-mars 1954, Chou En Lai avait envoyé un message à Hồ Chí Minh pour lui dire de se préparer à venir à Genève, et à penser au partage du pays après un cessez-le-feu. Il l'invita aussi à venir à Pékin puis à Moscou discuter avec les Russes.

Le 18 mai 1954, dans un dîner avec le spécialiste des questions militaires de la délégation française Jacques Guillermaz et l'ambassadeur de France en Suisse Paul Boncour, Vương Bình Nam, l'adjoint de Chou En Lai clairement déclara : « Nous ne sommes pas venus pour défendre la position du Việt Minh, mais pour faire tout notre possible pour arriver à la paix ». La position des États-Unis, exprimée par J.F. Dulles aux journalistes, était que la responsabilité primaire des décisions prises à la conférence revenait à la France et au Việt Nam d'un côté, et au Việt Minh de l'autre. « Les États-Unis sont plutôt d'avis de ne pas s'interposer dans ce qu'ils veulent faire [...] Si nécessaire, les États-Unis refuseront d'accepter les résultats qui seront contraires aux intérêts des Américains. »

Les Russes, encore sous le choc de la mort de Staline, malgré la présence de Molotov, ne réagirent pas lorsque les Chinois voulaient écarter le Việt Minh du Laos et du Cambodge. Le Parti Communiste Indochinois n'avait-il pas été baptisé de ce nom par le Comintern lui-même en 1930 avec des instructions d'activer la révolution marxiste-léniniste dans ces deux pays ?

Le 25 mai, Phạm Văn Đồng proposa un cessez-le-feu et un regroupement de chacun des deux côtés dans une zone bien définie.

Le 23 juin, Chou En Lai qui rencontra Mendès France à Berne, insistait que l'objectif principal était un cessez-le-feu. Concernant le Laos et le Cambodge, il pensait que des territoires de regroupement de troupes étaient nécessaires et que l'unification des pays était du ressort des gouvernements royaux. Enfin, il insista, comme il l'avait déjà fait à Eden, qu'en aucun cas, il ne pouvait y avoir de bases américaines.

Chou En Lai rencontra Hồ Chí Minh et Võ Nguyên Giáp à Liễu Châu (Liuzhou), dans le Guang Xi en Chine du 3 au 5 juillet 1954 pour discuter de Genève. Trois accords sur l'aide économique de la Chine au Việt Minh pour l'année 1954 furent signés dans cette période. La signature de ces accords avait-elle une influence dans l'acceptation de la position proposée par Chou En Lai ? En tout cas, l'ambassadeur de France Jean Chauvel fut informé durant un dîner le 9 juillet avec Chang Wen Tien, l'ambassadeur de Chine en URSS que Chou En Lai « avait eu une très bonne rencontre avec Hồ Chí Minh et que les conséquences seraient d'une grande aide pour les Français ». Jean Chauvel avait l'impression que les Russes et les Chinois avaient laissé au Việt Minh la liberté de négocier, jusqu'au moment où ses demandes ne pouvant pas être acceptées par les Français, ils eurent à intervenir.

Le 20 juillet 1954, après de fortes pressions directes de Molotov lui-même durant une réunion dans sa villa le Bocage, avec Chou En Lai, Eden et Phạm Văn Đồng (Bedell Smith et les représentants de Bảo Đại n’étaient pas invités), Phạm Văn Đồng accepta le 17e parallèle comme frontière et un délai de deux ans avant les élections générales pour l'unification du pays.

Une semaine avant, le 13 juillet 1954, il était inflexible sur le 13e parallèle et les 6 mois de délai avant les élections lorsqu’il vint rencontrer Trần Văn Đỗ, le chef de la délégation du Việt Nam nationaliste et discuter avec lui des élections générales.

La conférence de Genève (figure 16) se termina le 21 juillet 1954. Seuls les trois accords de cessez-le-feu au Laos, au Cambodge et au Việt Nam furent signés par les représentants militaires des pays concernés. La solution politique était exprimée par une “déclaration finaleˮ en treize points que personne ne signa, parce que les États-Unis et l'État du Việt Nam refusèrent de le faire. Non signée, cette déclaration ne pouvait engager, au sens littéral du mot, qui que ce soit, et ne pouvait être considérée que comme une simple déclaration d'intention.

 Le Việt Nam serait divisé en deux au niveau du 17e parallèle, le Việt Minh regroupant ses forces au nord, et les Français et les Vietnamiens de l'État du Việt Nam au sud[6]. L'importation de nouvelles armes était limitée aux remplacements. Pendant 300 jours la population pouvait se déplacer pour s'établir là où elle voulait. Une Commission de Contrôle Internationale (CCI ou ICC) avec des représentants de l'Inde (bloc du Tiers-monde non aligné), du Canada (bloc occidental) et de la Pologne (bloc communiste) superviserait les arrangements du cessez-le-feu. Les élections générales pour l'unification du pays inscrites dans la déclaration étaient prévues pour avoir lieu en 1956 avec des discussions préliminaires débutant en 1955.

Le Dr Trần Văn Đỗ, chef de la délégation de l’État du Việt Nam, demanda à faire ajouter dans le rapport de la conférence la désapprobation de son gouvernement sur le partage du pays, et la manière utilisée par la conférence pour arriver au cessez-le-feu, et il ajouta que son gouvernement se réservait le droit de réagir, en promettant que la force ne serait pas employée contre le cessez-le-feu.

Ngô Đình Diệm qui ne voulait pas d'un partage du pays avec perte de Hà Nội et Hải Phòng, présenta sa démission à Bảo Đại le 22 juillet, mais ce dernier n'en voulut pas et lui demanda de garder son poste.

Le grand vainqueur de la conférence était indubitablement la Chine qui avait su imposer son point de vue sur l'Indochine. Il ne voulait pas que le Việt Nam eût une emprise sur le Laos et le Cambodge, devenant ainsi une forte puissance à ses frontières du sud, et il voulait que la guerre s'arrête pour ne pas voir les États-Unis menacer ses frontières en intervenant au Việt Nam ou en établissant des bases dans les deux autres pays. Il voulait pouvoir se consacrer entièrement au développement économique de son pays après la période agitée de la guerre contre les Japonais, puis contre Tchang Kaï Chek.

Le 22 juillet 1954, Chou En Lai invita à un repas, toutes les délégations des pays de l'ex Indochine. Il plaça les deux délégations vietnamiennes à sa table. Ngô Đình Luyện, le frère et aussi représentant de Ngô Đình Diệm, le nouveau Premier ministre de l'État du Việt Nam, était à côté de Tạ Quang Bửu (Việt Minh) qu'il avait connu du temps où ils étaient tous les deux étudiants en France. Ngô Đình Luyện faisant la remarque que le Văn Miếu (Temple de la Littérature) de Hà Nội avait souffert de la guerre, Chou En Lai l'invita à venir à Pékin visiter celui de la Chine encore intacte. Puis à son interlocuteur qui lui demanda en quelle qualité il pourrait aller à Pékin, sans hésitation, il répondit : « Pourquoi n'installeriez-vous pas une mission à Pékin ? ». Voyant Phạm Văn Đồng (Việt Minh) bondir sur sa chaise, il ajouta : « Bien sûr, Monsieur Đồng est plus proche de nous idéologiquement, mais cela n'empêche pas le sud Việt Nam d'y avoir une représentation. De toute façon, n'êtes-vous pas tous des Vietnamiens et ne sommes-nous pas tous des Asiatiques ? » [7].

10.3. Les conséquences du retour de la France : 400 000 à 450 000 victimes ?

Les Français avaient dû finalement rentrer chez eux en 1954, après neuf ans de retour au Việt Nam pour rien. Quelques avaient été les raisons et les responsables de ce retour inutile au Việt Nam, quelles en furent les conséquences en vies humaines et en coût financier ?

Michel Renard indique dans Études coloniales, Revue en ligne, vendredi 16 mars 2012 : « dans son livre, Histoire de la guerre d'Indochine (Denoël, coll. “L'aventure coloniale de la France”, 1992), le général Yves Gras affirme qu'on ne connaît pas “de façon exacte” les pertes humaines de ce conflit. « On peut raisonnablement les évaluer à 500 000 personnes, dont 100 000 à 150 000 ont été assassinés par le Viet Minh. Sur ce total, le corps expéditionnaire comptait 59 745 tués et disparus, dont 2 005 officiers français, et les forces armées vietnamiennes 58 877 tués et disparus» (p. 578-579). Il précise à propos du corps expéditionnaire qu'il faut distinguer : “26 923 autochtones, 12 997 officiers et soldats français et 17 810 légionnaires et tirailleurs africains et nord-africains” (p. 579). On trouve, ailleurs, des évaluations différentes mais non sourcées (Denise Bouche, Histoire de la colonisation française, ed. Fayard, 1991, p. 451). »

Avec environ 177 000[8] de pertes chez les Việt Minh et 100 000 à 150 000 Vietnamiens morts par leurs actions, le total ferait entre 400 000 à 450 000 de victimes (tués ou disparus).

3 000 milliards d'anciens francs avaient été dépensés, dont 614 milliards par les USA dans le cadre de leur aide à la France les dernières années[9]. Et là, on n’a pas compté toutes les larmes des mères, épouses, enfants et proches de ceux qui étaient tombés durant cette guerre.

    

[1]  Un défoliant versé en grande quantité sur la piste Hồ Chí Minh par les Américains dans les années 1960 pour dévoiler les convois allant du Nord vers le Sud Viet Nam. 

[2]  Hồ Chí Minh (2009), Toàn tập (Hồ Chí Minh (2009), l’Intégrale), éd. Chính trị quốc gia, Hà Nội, t.7, pages 10. Cité par Trần Hoàng dans son Hồ Chí Minh với việc triệu tập Hội nghị Genève năm 1954 về Đông Dương (Hồ Chí Minh et la convocation à la Conférence de Genève en 1954 sur l’Indochine) (https://nghien cuulichsu.com).

[3]  Hồ Chí Minh (2009), Toàn tập , t.7, pages 112-113.

[4]  Voir 9.3. La stratégie des généraux de Lattre de Tassigny (1950-1951) et Navarre (1953-1954) .

[5]  Hoạt động đối ngoại của Chủ tịch Hồ Chí Minh trong kháng chiến chống thực dân Pháp (Activités extérieures du président Hồ Chí Minh dans la résistance contre les colonisateurs français), Đặng Văn Thái (2004), éd. Chính trị quốc gia, Hà Nội, page 228.

[6]   La population de 25 millions du pays allait se répartir en 13 millions au Nord et 12 millions au Sud.

[7]     Nhìn lại Sử Việt (l'Histoire du Việt Nam réexaminée), Lê Mạnh Hùng, Ed. THXBMDHK, 2013 .

[8]     Une guerre de trente-cinq ans, Indochine-Vietnam, 1940-1975, Raymond Toinet, éd. Lavauzelle, 1998.

[9]  La piastre et le fusil, le coût de la guerre d'Indochine 1945-1954, Hugues Tertrais, Comité pour l'histoire économique et financière de la France.

13. Pourquoi la guerre d'Indochine (1945-1954) ?

Pourquoi la guerre d’Indochine (1945-1954) ?

Nguyễn Ngọc Châu

(Extraits de   Việt Nam – L’histoire politique des deux guerres – Guerre d’indépendance (1858-1954) et guerre idéologique ou Nord-Sud (1945-1975) » de Nguyen Ngoc Chau, Editions Nombre 7, Seconde édition, 2020)

 

La guerre d’Indochine est celle que la France mena de 1945 à 1954 au Laos, Cambodge et au Việt Nam, les trois pays qui formaient « l’Indochine » quand elle les dominait encore.

La création de l’Union Indochinoise (1887)

Les trois pays étaient tombés entre les mains de la France au fur et à mesure de son avancée dans la conquête de leurs territoires de 1858 - avec l’attaque de Đà Nẳng (Việt Nam) qu’elle appelait Tourane - ,  à 1a création de l’Union Indochinoise par les décrets des 17 et 20 octobre 1887. Celle-ci était alors composée du Việt Nam – divisé en trois kỳ (régions ou pays, kỳ voulant dire drapeau), la Cochinchine au sud, l'Annam au centre et le Tonkin au nord – et du Cambodge et était administrée par un gouverneur général d'Indochine (GGI). La Cochinchine était une colonie dirigée par un gouverneur alors que les trois autres parties étaient des protectorats gérés chacun par un « résident supérieur ». Le protectorat laotien instauré en 1893 et le territoire Kouang Tcheou Wan (ou Guangzhouwan) 广州湾 de 1300 km2 en Chine du Sud à bail de 99 ans signé en 1898 furent plus tard ajoutés à cette Union Indochinoise.

Les Japonais s’imposent en Indochine (1941)

Le gouvernement colonial français arrêta l’utilisation de la voie de chemin de fer de Hải Phòng au Vân Nam (Yunnan, Chine) pour l’envoi d'armes et de munitions au Chinois Tchang Kai Chek après un message de pression des Japonais le 27 octobre 1938. La guerre avait éclaté entre la Chine et le Japon le 7 Juillet 1937 suite à un incident[1] et les Japonais avaient pris Pékin, Tianjin, Shanghai et Nankin.

À la réception d’un ultimatum le 19 juin 1940, il cessa immédiatement tout transit de matériel vers la Chine et accepta la présence d'une commission de contrôle japonaise aux frontières. Le gouverneur général Georges Catroux (1877-1969) avait répondu favorablement aux pressions japonaises sans en référer au préalable à la métropole et fut, pour cela, remplacé, par décret du 20 juin 1940, par l'amiral Jean Decoux (1884-1963) commandant la marine en Extrême Orient. Dans un télégramme à Paris le 26 juin 1940, il se justifia ainsi : « Quand on est battu, qu'on a peu d'avions et de défense antiaérienne, pas de sous-marins, on s'efforce de garder son bien sans avoir à se battre et on négocie. C'est ce que j'ai fait. Je suis à 4 000 lieues de vous et vous ne pouvez rien pour moi… ![2] ».

Par un traité signé le 30 août 1940 à Tokyo, le Japon reconnaissait la souveraineté de la France sur l'Indochine et les îles Paracels et Spratleys, tandis que la France reconnaissait le rôle majeur du Japon en extrême Orient et lui accordait l'autorisation d'utiliser des moyens militaires en Indochine. Le traité militaire qui le complétait, signé le 22 septembre 1940 à Hà Nội après un autre ultimatum des Japonais, précisa l'autorisation pour ceux-ci d'utiliser trois aéroports au Nord Việt Nam, d'y faire stationner 6 000 hommes au nord du Fleuve Rouge, et de faire transiter un maximum de 25 000 hommes.

La faiblesse de l'armée française, qui était aggravée par la désertion massive des troupes locales nouvellement recrutées, avait poussé le général Catroux à s’opposer à toute activité contre les Japonais. Il avait tout fait pour l’éviter, allant jusqu'à solliciter l'aide des Britanniques et des Américains, mais en vain. En juillet 1944, le général de Gaulle nomma le général Eugène Mordant (1885-1959) chef de la résistance à partir de Kunming en Chine et de Calcutta aux Indes et ordonna de lui parachuter des matériels de transmission et des armes[3].    

   Dans la nuit du 7 décembre 1941, les Japonais contrôlèrent totalement Hà Nội et prévinrent l'amiral Decoux qu'ils avaient attaqué Pearl Harbour le jour même, et qu'un traité entre le Japon et la France sur l'Indochine était prêt à être signé. Par cet accord, ratifié deux jours après, la France s'interdisait de faire obstacle aux opérations japonaises en Extrême-Orient et accordait au Japon le droit d'utiliser toutes les ressources en Indochine qui lui semblaient nécessaires. À l'inverse, les troupes et les ressortissants français au nombre de 4 000 n'étaient pas emprisonnés comme ce qui se passait avec les Anglais et les Hollandais en Malaisie et en Indonésie.

Les Japonais utilisaient l'Indochine comme base d'opérations vers le sud-est asiatique (Malaisie, Indonésie, Philippines, etc.), à partir de 1942. 

Le coup de force des Japonais (9 mars 1945)

L'Indochine était le seul endroit conquis par les Japonais où le pouvoir était laissé au colonisateur. En début de 1945, ils s’y replièrent suite à la défaite de la bataille des Philippines. Dans le même temps, l'aviation américaine attaquait le port de Sài Gòn et leur flotte en mer de Chine, coulant 28 navires et endommageant 13 autres. S'attendant à un imminent débarquement des Américains, ils décidèrent de prendre le pouvoir pour éviter d'être attaqués par-derrière : ils étaient au courant de l'existence du général Mordant et de ses réseaux.

Sur le papier, au début de mars 1945, les forces japonaises étaient moins nombreuses que celles des Français : 55 000 contre 60 000[4], mais la proportion des combattants à la disposition du général Tsuchihashi était plus importante : 35 000 contre 30 000. En plus ils étaient tous japonais alors que les soldats français étaient hétéroclites : Européens, Vietnamiens, Cambodgiens, Laotiens, des minorités montagnardes. Après avoir placé des forces à proximité des points importants dans toute l'Indochine, le 9 mars 1945, ils prirent de court les Français en réalisant une opération préparée dans le plus grand secret appelée Meigo Sakusen (action de l'éclair de lune). Ils attaquèrent en me6me temps partout les troupes françaises et celles de la garde indochinoise. L'amiral Decoux lui-même fut arrêté au soir du 9 mars 1945 au palais du gouvernement général où un rendez-vous avait été pris par l'ambassadeur Yatsumoto pour « conclure un accord sur les livraisons de riz en 1945 » et pour discuter en privé « des dépenses militaires »[5]. En quarante-huit heures, plus de deux mille militaires français incluant des membres de la force de résistance du général Mordant[6], auxquels s’ajoutaient de nombreux non Français, perdirent la vie, soit tués au combat, soit assassinés. Le général Émile Lemonnier et le colonel Robert, qui s’étaient défendus jusqu’au bout de leurs munitions à Lạng Sơn, et le résident général Aphelle, furent décapités sur place. Le général Mordant lui-même dut capituler et fut emprisonné jusqu'à la défaite des Japonais. 15 000 hommes des forces armées françaises furent mis en prison dont 12 000 Européens. D’autres se réfugièrent en Chine.

L’Indochine n’appartenait plus à la France (1945)

Le Japon choisit de rendre la liberté au Centre Việt Nam, au Cambodge et au Laos, et de mettre sous contrôle de l'armée les deux régions Sud et Nord Việt Nam où se trouvait le gros de ses forces de défense[7].

« Le Japon a été contraint de prendre les affaires en main en Indochine en raison des activités subversives de la résistance française. Celle-ci recevait des armes et avait l'intention de gêner les mouvements de notre armée », était le message de l'ambassadeur du Japon en Indochine à l'empereur Bảo Đại. Puis il précisa « Nous voulons redonner l'Asie aux Asiatiques. Je suis chargé de remettre à Votre Majesté l'indépendance du Vietnam ».

Bảo Đại déclara l'indépendance du Việt Nam[8] le 11 mars 1945, près de six mois avant Hồ Chí Minh, en abrogeant les protectorats français en ces termes : « Vu la situation mondiale et celle de l'Asie en particulier, le gouvernement du Vietnam proclame publiquement qu'à dater de ce jour le traité de protectorat avec la France est aboli et que le pays reprend ses droits à l'indépendance ». Il finit par une déclaration d'acceptation du soutien du Japon dans le cadre de la Sphère de Co prospérité de la Grande Asie Orientale de celui-ci.

Le 14 août 1945, les Japonais remirent officiellement le Sud à la cour de Huế, et Bảo Đại annonça son annexion, réunifiant ainsi le Việt Nam. Les responsabilités sur les gardes civiles, la sécurité, la police, etc. revinrent à la cour de Huế le jour suivant.

La capitulation japonaise (1945)

Le Japon ayant rejeté l'ultimatum des alliés (USA, Royaume Uni et URSS) de la conférence de Potsdam (17 juillet 1945 – 2 août 1945), le 6 août 1945, une bombe atomique fut lancée par les Américains sur la ville de Hiroshima (340 000 habitants), où se trouvait le centre de commandement de la deuxième Armée du général Shunroku Hata qui devait défendre la partie ouest du Japon. Une deuxième visa Nagasaki (195 000 habitants) le 9 août 1945. Ces bombardements, l'invasion par la Russie de la Mandchourie le 8 août et la reddition de l'armée japonaise de Guandong le 10 août, firent céder le Japon qui capitula officiellement le 2 septembre 1945, après l'allocution radiophonique de l'empereur Hirohito donnée le 15 août 1945. Concernant l'Indochine, les alliés décidèrent, sans consulter la France, de confier le rétablissement de l'ordre dans la zone au-dessous du 16e parallèle au Royaume-Uni et dans celle au-dessus à la République de Chine.

La création de la République Démocratique du Việt Nam (2 septembre 1945)

La manifestation du 17 août où devant le Grand Théâtre de Hà Nội, environ vingt mille personnes clamaient leur soutien au Việt Minh jusque là encore inconnu, fut suivie de celle du 19 août 1945 qui finit par la prise par le Việt Minh de la mairie, du Trésor, de la Poste, etc… et l’arrestation du représentant du gouvernement de l’Empereur Bảo Đại.

L'empereur Bảo Đại décida d'abdiquer. Dans l'acte d'abdication du 25 août, il précisait : « Mieux vaut être citoyen d'un pays indépendant que d'être roi d'un pays esclave ». Le 25 ou le 30[9] août 1945, eut lieu à Huế la remise de l'épée d'or et du sceau impérial en or[10] aux représentants du Việt Minh. Ainsi disparut l'empire du Việt Nam.

 Hồ Chí Minh décida de proclamer l'indépendance du pays le 2 septembre 1945 qui était  aussi la date de la capitulation officielle du Japon. La Việt Nam Dân Chủ Cộng Hòa (République Démocratique du Việt NamRDVN) était née, avec pour emblème le drapeau du Việt Minh, une étoile jaune sur fond rouge. Émues, de nombreuses personnes rejoignirent le mouvement.

Cette prise de pouvoir à Hà Nội fut suivie par d'autres dans certaines villes du Nord car le gouvernement ne fit rien pour le conserver. À certains endroits, elle fut faite avec un parti nationaliste, comme à Quảng Yên avec le Việt Cách. À Hải Phòng, le scénario de Hà Nội fut réutilisé, sauf que les autorités de la ville parmi lesquelles il y avait trois Việt Minh infiltrés, décidèrent elles-mêmes de passer le pouvoir. Dans d'autres, il y eut des combats soit avec les Bảo An, comme à Hà Đông quand le Việt Minh voulut prendre le camp des Bảo An dont le chef était membre du VNQDĐ, soit avec des partis nationalistes, comme à Sơn Tây, Phúc Yên, Vỉnh Yên et Phúc Thọ, où ceux-ci étaient bien implantés.

La France voulait récupérer l’Indochine perdue aux Japonais (1945)

On croyait que la France avait été éliminée de la scène des anciens pays d'Indochine. Elle avait laissé les Japonais s’y installer suite à quelques ultimatums, l’utiliser comme base d'opérations vers le sud-est asiatique, et finalement s’en faire chasser dans la nuit du 9 Mars 1945. Et une demande en octobre 1943 de sa part d'avoir une délégation militaire au sein du SEAC (South-East Asia Command - Commandement du Sud-Est Asie)[11] avait été refusée par les Alliés de la guerre du Pacifique (les États-Unis, le Royaume Uni et L’URSS), ainsi que sa proposition d’au début de 1945 de participer à toute action du général Douglas Mac Arthur en Indochine.

Le président des États-Unis Franklin D. Roosevelt était contre le retour de la France. Pour lui, le principe « chaque peuple avait le droit de choisir la forme de son gouvernement » était valable pour tout le monde, et les colonies devaient être mises sous mandat international pour se préparer à devenir indépendantes. Mais il mourut trop tôt (12 avril 1945) pour pouvoir s’opposer au désir de la France.

Pour le Premier Ministre Britannique Winston Churchill, seuls les pays occupés par l'Allemagne nazie étaient concernés par le sujet de l'indépendance, et celle des pays de l'Empire britannique dépendrait du Commonwealth. Concernant l'Indochine, il pensait déjà à l'Europe de l’après-guerre, et préférait le retour de la France qu'elle considérait comme « extrêmement sensible, proche d'être un malade, avec tout ce qu'elle considérait l'avoir abaissée », comme le mentionnait un rapport de son ministère des affaires étrangères. Ne pas la soutenir sur l'Indochine pourrait provoquer sa colère et « générer des conséquences incalculables » dans les deux continents et non seulement un.

Pour le général de Gaulle, restaurer la crédibilité de la France comme grande puissance était nécessaire. Et cela passait par un retour à l’Indochine de la France.

Le 24 mars 1945, alors qu'il s'apprêtait à prendre le pouvoir en France, il proclama son intention de restaurer l'autorité de la France en Indochine, et la création d'une « Fédération Indochinoise », remplaçant la vieille « Union indochinoise » de 1887, toujours composée de cinq entités, faisant partie intégrante de « l’Union Française » (mot trouvé par Paul Mus)[12] composée de la France et de ses territoires, colonies et États associés. 

« Hà Nội était perçue comme la dernière étape de la restauration nationale » écrivit Jean-François Klein[12] sur la politique de de Gaulle à cette époque. 

La solution d’une Fédération Indochinoise au sein d’une Union Française dominée par la France

Le 24 mars 1945, alors qu'il s'apprêtait à prendre le pouvoir en France, il proclama son intention de restaurer l'autorité de la France en Indochine, et la création d'une « Fédération Indochinoise », remplaçant la vieille « Union indochinoise » de 1887, toujours composée de cinq entités, faisant partie intégrante de « l’Union Française » (mot trouvé par Paul Mus) [1] composée de la France et de ses territoires, colonies et États associés. 

Le 19 août 1945, Bảo Đại lança à de Gaulle « l'appel d'un ami et non d'un chef »   en lui demandant de reconnaître l'indépendance du pays. « […] Le peuple vietnamien ne veut plus, ne peut plus supporter aucune domination ni aucune administration étrangère. […] Je vous prie de comprendre que le seul moyen de sauvegarder les intérêts français et l’influence spirituelle de la France en Indochine est de reconnaître franchement l’indépendance du Việt Nam et de renoncer à toute idée de rétablir ici la souveraineté ou une administration française sous quelque forme que ce soit [13]. »

Il envoya aussi un télégramme au président des États-Unis Harry Truman et au Premier ministre britannique Clement Attlee.

Le 24 août, ignorant ce message de l’empereur vietnamien ou probablement pour lui répondre, Charles de Gaulle réaffirma dans une conférence de presse à Washington[14], par un appel de « la mère patrie à ses enfants », la volonté de la France de récupérer sa souveraineté sur l’Indochine[15]. L’illusion que la France était la mère patrie des Vietnamiens restait vivace chez les Français.

L’Association Nationale pour l’Indochine française (ANIF) avait déjà été créée en août 1943 à Alger, avec pour but de servir la cause du retour de l’Indochine à la France. Elle comptait parmi ses membres, René Pleven, son créateur, et d’éminentes figures politiques et militaires, dont le général Catroux, et était présidée au niveau national par Alexandre Varenne, député radical-socialiste, ancien gouverneur général en Indochine (1925-1928). Préparé au Commissariat des Colonies à Alger, le projet était de créer un nouveau partenariat politique entre les cinq pays qui auraient chacun leur propre gouvernement, et le tout sous le contrôle d'un gouvernement fédéral puissant présidé par un haut-commissaire de France. Le discours de sa revue [16] présentait les Indochinois comme n’ayant pas encore acquis la maturité politique nécessaire à l’indépendance, et que sans la France, garante de l’ordre et force libératrice, l'Indochine serait livrée au « désordre » et à « l’anarchie ».

Comme à la création de l'Union Indochinoise en 1887, les promoteurs de ce projet ne tinrent pas compte des désirs des peuples qu'ils voulaient “fédérer”, comme s'ils n'avaient pas vu que les trois peuples (et non cinq) ne voulaient pas être dominés par la France.

Les Français ne voulaient pas comprendre que les sacrifices de tous les Vietnamiens depuis 1858 visaient une “pleineˮ indépendance,  pas la “liberté sous domination françaiseˮ préconisée par le Général. Par tactique, une position transitoire pouvait être envisagée, mais ce serait seulement un tremplin pour aller plus loin. La longue histoire du Việt Nam ne l’avait-elle pas amplement démontré ? La France ne s’était-elle pas elle-même battue pour se dégager complètement des Allemands? Le père Cao Văn Luận (1908-1986), futur recteur de l’université de Huế, qui était à Paris au moment de la libération en 1944, était ému aux larmes de voir la joie du peuple français après quelques années de domination allemande. Il pensait à ce que serait celle des Vietnamiens après une centaine d’années de domination française [17], un sentiment que le Général n’accepta pas de comprendre alors qu’il avait pris part dans la libération de son propre pays. 

 Le monde avait aussi évolué et la France refusait de s’en rendre compte : les États-Unis avaient accordé l’indépendance aux Philippines en 1946 ; l’Inde était devenue indépendante en 1947, une vraie indépendance qui donna de l’espoir aux pays de la région encore soumis au joug colonial ; la Birmanie devint officiellement indépendante des Anglais le 4 janvier 1948 ; et les Indonésiens des Hollandais le 1er décembre 1949. L'ex-empereur Bảo Đại qui avait fait tout ce qu'il avait pu, déplora : « Vraiment les Français n’ont pas compris ce qui s’est passé en Extrême Orient ».

Avec les partis nationalistes, il avait accepté la solution de l’État du Việt Nam au sein de l’Union Française  comme solution intermédaire [18] .  Mais il ne put obtenir de la France des traités sur l’indépendance complète du Viet Nam que le 4 juin 1954, c’est-à-dire presque un mois après sa défaite devant les forces Việt Minh à la bataille de Điện Biên Phủ (7 mai 1954).

L’État du Việt Nam était considéré par la population vietnamienne comme une créature de la France où rien ne pouvait se faire sans son accord – un auteur le qualifia d’« indépendant mais ... » – pour elle, il n’était pas crédible. Et son existence renforçait le prestige de la RDVN de Hồ Chí Minh qui menait elle-même ses affaires diplomatiques, avait sa propre armée, et se battait pour l’“indépendance complète”, c’est-à-dire pour le retrait total des Français du pays. Beaucoup de Vietnamiens, par amour de la patrie, sans adopter pour le communisme, préféraient se joindre au Việt Minh pour chasser pour toujours l’envahisseur Français. 

Lord Mountbatten, le chef du SEAC (South-East Asia Command – Commandement du Sud-Est Asie), réaliste, avait dit au général Leclerc : « Reconquérir l'Indochine, ce n'est pas sérieux. Le monde a changé. Vous n'y arriverez pas. ».

La fin de la guerre d’Indochine (1954)

Lord Mountbatten avait raison. Les Français n’arrivèrent pas à reconquérir l’Indochine. Ils furent battus dans plusieurs batailles par un Việt Minh soucieux de libérer son pays de ceux qui voulaient le dominer, et soutenu sans faille par la Chine et l’URSS qui l’équipaient, le formaient et le conseillaient. La dernière bataille, celle de Điện Biện Phủ où 11 721 défenseurs du côté français se rendirent au Việt Minh, sonna le glas des désirs de la France.

Hồ Chí Minh avait toujours voulu résoudre le conflit par des négociations. Et il était très clair sur de telles négociations : « Si le gouvernement français, tirant des leçons de la guerre de ces dernières années, veut aller vers une trêve par la négociation et résoudre les problèmes du Việt Nam par la voie pacifique, le peuple vietnamien et le gouvernement de la RDVN sont prêts à l’accepter […] Il suffit que le gouvernement [français] arrête sa guerre d’invasion pour qu’il y ait un cessez-le-feu. La base du cessez-le-feu au Việt Nam est le respect de la véritable indépendance du Việt Nam […][19]. »

C’était le sens de sa déclaration du 29 novembre 1953 au journal suédois Expressen.

Parlant des conditions indispensables pour arriver aux négociations, il avait précisé : « L’expérience de la Corée nous montre qu’il faut se battre jusqu’à ce que l’impérialiste soit à terre. Sachant qu’il ne peut plus combattre, il acceptera de négocier […] Nous devons aussi nous battre pour que la France soit à terre. À ce moment, on négocie s’il y a des négociations, ce n’est pas en lui proposant de négocier qu’elle va tout de suite négocier. N’ayons pas des illusions. Son but est de nous envahir. S’il lui reste 1 % d’espoir après avoir perdu 99 %, elle continuera de se battre. Il faut la mettre à terre pour qu’elle accepte de négocier. »[20]

La Conférence de Genève en 1954 qui réunissait tous les belligérants et leurs soutiens internationaux officialisa la séparation du Việt Nam en deux parties, une gérée par les communistes et l’autre par ceux qui ne voulaient pas de ce régime, et le départ définitif de la France. Les Français avaient dû finalement rentrer chez eux après neuf ans de retour au Việt Nam pour rien.

Leur équipée aurait fait 400 000 à 450 000 victimes (tués ou disparus) dont “ 12 997 officiers et soldats français et 17 810 légionnaires et tirailleurs africains et nord-africains[21]”.

3 000 milliards d'anciens francs avaient été dépensés, dont 614 milliards par les USA dans le cadre de leur aide à la France les dernières années[22].

Et là, on n’a pas compté toutes les larmes des mères, épouses, enfants et proches de ceux qui étaient tombés durant cette guerre.



[1] Au pont Ligou, appelé encore pont Marco Polo, prétextant chercher un de leurs soldats disparu, et disant qu'ils avaient essuyé des tirs, les japonais voulurent fouiller toutes les maisons. Devant le    refus des chinois, ils firent venir des renforts et s'emparèrent de Pékin. Le soldat avait en fait passé deux heures dans une maison de passe.

[2]  L'Indochine française 1854-1954, Pierre Montagnon, Texto, éd. Tallandier, 2016.

[3]http://www.anai-asso.org/NET/document/le_temps_de_la_guerre/le_temps_de_la_guerre_19401955/2guerre_indochine/le_coup _de_force_japonais_du_9_mars_1945/index.htm#.

[4]   Vietnam 1945 : The Quest for Power (Vietnam 1945 : La quête pour le pouvoir), David G. Marr.

[5]   La piastre et le fusil, le coût de la guerre d'Indochine 1945-1954, Hugues Tertrais, Comité pour l'histoire économique et financière de la France.

[6]  Le général Mordant a laissé un livre Au service de la France en Indochine, 1941-1945 (Saïgon, imprimerie française d'Outremer, 1950).

[7]    Le seul État pleinement souverain allié à l'Empire du Japon était le Royaume de Thaïlande.

[8]   Việt Nam : un État né dans la guerre 1945-1954, de Christopher Goscha.

[9]    Suivant les sources, c'était le 25 ou le 30 août.

[10]  Durant la nuit du 19/12/1946, après des combats avec les Français à Hà Nội, le sceau d'or et l'épée d'or brisée en deux furent mis dans un container métallique vidé de ses litres de pétrole et enterrés par le Việt Minh en fuite. Redécouverts en 1952 par l'armée française, ils furent restitués à Bảo Đại par l’intermédiaire de sa deuxième femme, Mộng Điệp, lors d'une cérémonie à Đà Lạt en présence de la mère de l'ex-empereur. Madame Mộng Điệp fit réparer l'épée et l'amena avec le sceau en France en 1953 pour les remettre à ce dernier en mains propres (ref : Le Temps des, Ancêtres : une famille vietnamienne dans sa traversée du XXe siècle, Nguyễn Ngọc Châu, éd. L'Harmattan, 2018).

[11]  La SEAC était appelée de façon ironique par les Américains " Save England's Asiatic Colonies" (Sauver les colonies asiatiques de l'Angleterre).

[12]  Article de Jean-François Klein sur De Gaulle, les Gaullistes et l’Indochine de Frédéric Turpin, éd. Indes savantes, Paris, dans Moussons, 13-14 |209,406-410.

[13] The Struggle for Indochina 1940 – 1955, Vietnam and the French Experience by Ellen J. Hammer, Stanford University Press, 1966.

[14] End of Empire: One Hundred Days in 1945 that Changed Asia and the World (Fin de l’Empire: 100 jours en 1945 qui changèrent l’Asie et le Monde) – 2016, David P.  Chandler (Editor), Robert Cribb (Editor), Li Nagangoa (Editor).

[15]   L'Indochine française 1858-1954, Pierre Montagnon, collection Texto, Tallandier.

[16]  La revue Indochine française, organe de propagande de l’Association nationale pour l’Indochine française [ANIF] parut de septembre 1944 à 1947, et fut relayée par la revue mensuelle France-Indochine qui disparaîtra en 1955.

[17] Bên giòng lịch sử, Hồi ký 1940-1965 (À côté du cours de l'histoire, mémoires 1940-1965), père Cao Văn Luận. Ed Trí Dũng

[18] Ratification le 26 janvier 1950 par l’Assemblée nationale française des accords de l’Élysée du 8 mars 1949 reconnaissant le Việt Nam comme État associé, membre de l’Union Française.

[19]Hồ Chí Minh (2009), Toàn tập (Hồ Chí Minh (2009), l’Intégrale), éd. Chính trị quốc gia, Hà Nội, t.7, pages 10. Cité par Trần Hoàng dans son Hồ Chí Minh với việc triệu tập Hội nghị Genève năm 1954 về Đông Dương (Hồ Chí Minh et la convocation à la Conférence de Genève en 1954 sur l’Indochine) (https://nghien cuulichsu.com).

[20] Hồ Chí Minh (2009), Toàn tập , éd. Chính trị quốc gia, Hà Nội, t.7, pages 112-113.

[21]   Histoire de la guerre d'Indochine, général Yves Gras (Denoël, coll. “L'aventure coloniale de la France”, 1992)

[22] La piastre et le fusil, le coût de la guerre d'Indochine 1945-1954, Hugues Tertrais, Comité pour l'histoire économique et financière de la France.


14.  Les derniers moments de la République du Viet Nam

Les derniers moments de la République du Viet Nam

(Extraits de « Việt Nam – L’histoire politique des deux guerres – Guerre d’indépendance (1858-1954) et guerre idéologique ou Nord-Sud (1945-1975) » de Nguyen Ngoc Chau, préfacé par Pierre Brocheux et publié par les Editions Nombre 7, Seconde édition, 2020)

   

Depuis plusieurs nuits déjà, on entendait le ronronnement des hélicoptères qui passaient par groupes dans le ciel. L’angoisse de devoir vivre dans un pays communiste, alors qu’on avait déjà goûté à la liberté de penser, de faire et de circuler, hantait tout le monde. La peur de se faire tuer ou de devoir passer des années en prison – comme cela s’était passé partout où le communisme avait pris le pouvoir – était présente dans tous les esprits. Tout le monde avait peur que ce qui s’était passé à Huế au Tết 1968 avec la découverte de nombreux charniers allait se répéter partout.

Un officier de la police se tira une balle dans la tête après avoir prié et s’être prosterné devant un monument aux morts à Sài Gòn, des militaires se tinrent par la main et firent sauter une grenade pour se suicider en groupe. Et l’on entendit dire que beaucoup d’autres avaient fait la même chose ailleurs, partout dans le pays.

Beaucoup se ruèrent vers l’ambassade des États-Unis et les points de rendez-vous organisés par les Américains, espérant pouvoir prendre les hélicoptères qui évacuaient des gens vers la VIIe flotte amarrée aux larges de Vũng Tàu. Au port de Khánh Hội à Sài Gòn, plusieurs plateformes, protégées des trois côtés de murs de sacs de sable, quittèrent Sài Gòn dans la soirée du 29 avril, entraînées par un petit bateau accolé sur leur flanc gauche, pour rejoindre les navires américains dans les eaux internationales.

Jean Lartéguy écrivit dans son livre L’adieu à Saigon, publié en 1975 : « [Coutard (1)] me raconte qu’ils ont pu filmer les cadets de l’École d’officiers de Dalat montant en première ligne, dernière réserve de l’armée sud-vietnamienne. […] Coutard les interroge avec cette brutalité qui lui permet de déguiser sa tendresse :

·       Vous allez vous faire tuer ?

·       Nous ne voulons pas du communisme.

Et bravement, les petits Saint-Cyriens de Dalat, dans leurs belles te-nues neuves, avec leurs souliers bien cirés, s’en allèrent se faire tuer».

L’histoire se souviendra toujours d’eux, de ceux qui se battirent jus-qu’à la fin, de ceux qui croupirent ou moururent en camp de concentration (dont 37 généraux(2)) ou attrapés et tués dans leur cachette après la guerre, ou se tirèrent une balle dans la tête à l’annonce de la reddition par Dương Văn Minh, tels les généraux Nguyễn Khoa Nam, Phạm Văn Phú, Lê Văn Hưng, Lê Nguyên Vỹ, Trần Văn Hai, et tant d’autres officiers et soldats.

L’avant dernier président de la République du Việt Nam, Trần Văn Hương, à qui les deux ambassadeurs américain et français proposèrent de faire quitter le pays, répondit comme ci à Graham Martin: « Votre Excellence Monsieur l’ambassadeur, je sais que la situation est extrêmement dangereuse. Elle est la conséquence d’actions dans lesquelles les États-Unis ont leur part de responsabilités. Aujourd’hui vous êtes venu m’inviter à quitter mon pays, je vous en remercie beaucoup. Mais j’ai beaucoup réfléchi et j’ai décidé définitivement de rester. Je sais aussi qu’une fois les communistes entrés dans Sài Gòn, combien de souffrances humiliantes s'abattront sur le peuple du Sud. J'ai été leur dirigeant de plus haut niveau, je me porte volontaire pour rester avec eux afin de partager une partie de la douleur, de l’humiliation et de la souffrance de personnes ayant perdu leur pays. Je vous remercie d’être venu me rendre visite. ». Ils se séparèrent sans se serrer les mains. En 1978, il refusa les droits du citoyen que le nouveau régime voulait lui restituer. Il écrivit aux nouveaux dirigeants que beaucoup de gens du Sud étaient encore en camp de concentration et de rééducation, et il n’accepterait de reprendre ses droits de citoyen qu’après que tous les prisonniers les avaient déjà récupérés pour eux-mêmes. Il mourut en 1981 à Sài Gòn en restant citoyen de la République du Việt Nam (3).

Pendant ce temps le dernier « Tổng Thống » (Président) Dương Văn Minh avait accepté l’offre offerte et les prisonniers purent, à travers la télévision, le voir aller avec allégresse élire les députés désignés de l’Assemblée nationale. Il fut autorisé à quitter le pays en 1983 et mourut en 2001 à Pasadena en Californie, aux États-Unis 3.

(1)   Raoul Coutard (1924-2016), trente ans d’Indochine, fit avec Schoendoerffer la 317e section (1965) sur la guerre d’Indochine et était le réalisateur de Hòa Bình (Paix) (1970) un film sur la seconde guerre, primé au festival de Cannes.

(2) Lược sử Quân lực Việt Nam Cộng hòa (Histoire des Forces Armées de la République du Việt Nam), Trần Ngọc Thống, Hồ Đắc Huân, Lê Đình Thụy (2011) et Biên bản chiến tranh 1-2-3-4.75 (Rapport sur la guerre 1-2-3-4.75), Trần Mai Hạnh, nxb Chánh trị Quốc Gia, 2014.

(3)  Cựu Tổng Thống Trần Văn Hương không chịu di tản (L’ancien Président Trần Văn Hương ne voulait pas quitter le pays), un article du site Dòng Sông Cũ (Ancienne Rivière), 5 mai 2017.



15.  Việt Nam - La répression des chrétiens sous la dynastie des Nguyễn

16La genèse du communisme vietnamien